What about us - Caesar

Je ne connais pas de meilleur endroit que la plage pour laisser couler mes pensées. Pour oublier. Pour que mes histoires s'expriment sur papier. Qu'elles s'envolent ensuite sans que cela ne me dérange parce qu'elles sont là, quelque part. Ecrites. Dessinées. Elles m'accompagnent. Sauf qu'aujourd'hui, mon regard ne peut s'empêcher par les traits de cet inconnu. Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive et en général, je fais en sorte de passer à autre chose et d'oublier mais aujourd'hui, je laisse simplement mon crayon s'exprimer sur papier. Je le laisse retenir chaque ossatures, chaque mouvements de peau, chaque expressions de son visage et heureusement pour moi, l'étranger ne bouge pas trop. Ce qui me permet d'enregistrer mentalement et physiquement. Je le dessine comme si je le connaissais alors que je ne l'ai jamais vu mais ses traits me plaisent. Ses traits eux me parlent comme si je le connaissait. Comme si je l'avais déjà croisé. Comme si tant de fois, j'y avais pensé et qu'il avait fini par accepter sans le dire de poser comme modèle. 


Alors, même si je sais que ce n'est pas forcément une chose qui peut plaire à tout le monde, je me dis qu'il est bien assez loin pour que je puisse continuer sans que ce ne soit dérangeant. Je plisse les yeux pour le regarder avec plus d'attention quand j'en arrive aux siens et que j'essaie d'en déterminer l'iris, la profondeur. Je ne m'attends pas alors à ce qu'il lève les yeux dans ma direction. J'ai même un hoquet de surprise. Ma mine se fige sur le papier. Je ne peux pas cacher le regard que je lui lance et je me demande même de quoi j'ai l'air. Sûrement une fan. Je m'étonne d'autant plus de le voir avancer et je jette un coup d'oeil à mon portrait qui ne saura cacher que c'est bel et bien lui que je dessine et puisque, de toute façon, je ne suis pas une menteuse, je ne saurais le cacher. Je prends une profonde inspiration et alors qu'il se plante devant moi, je penche un peu la tête, utilisant ma main comme visière pour bloquer le soleil qui m'éblouit. "Hello! Désolée pour l'insistance du regard... Je te dessinais. Tes traits durs ont inspiré mon crayon." Je fais une petite moue gênée. "Je te le donne si ça te dérange, ce serait logique!" Je me prépare à déchirer la page de mon carnet pour la lui offrir.

Caesar quittait rarement Donwell, il appréciait le petit coin de paradis dans lequel il vivait et il n’avait généralement pas envie de fuir son terrain d’enfance. Récemment néanmoins, il s’éloignait un peu de cet endroit où les problèmes de sa vie semblaient y régner. La seule chose qu’il avait envie de faire ces derniers temps était de se trouver loin de chez lui, loin de la première fois où il avait rencontré Owen, dans le coin sombre et solitaire du White Horse où l’effervescence semblait lointaine, où ils y avaient construits une petite bulle protectrice pendant un temps ; il n’avait pas non plus envie de se retrouver assis sur son canapé, l’ordinateur devant les yeux pour faire des recherches sur sa prochaine affaire qui concernaient une personne disparue. Caesar ne cherchait qu’à s’aérer l’esprit après les récents évènements et il n’avait jamais connu meilleur air que celui de la mer pour se ressourcer.

Il s’était adossé contre le rebord de la jetée, les bras croisés sur sa poitrine, le regard fixé vers l’horizon, écoutant le son des vagues qui léchait les galets et le sable en contrebas et l’effervescence du Brighton Pier, brouhaha dont il ne saurait se passer. Il laissait son esprit s’apaiser, il se vidait de toutes les pensées néfastes qui l’affectaient depuis quelque temps. Après un profond soupir qui se voulait purificateur, il laissa ses yeux se balader sur la jetée et il rencontra le regard insistant d’une jeune femme. Il se demandait si elle était à sa recherche comme le sont certains de ses clients ou de ses ennemis, si elle était là pour l’espionner. Il rédoutait en vérité la réponse à cette question, elle qui possédait un carnet et un crayon à la main. Qu’était-elle en train d’écrire sur lui ?
Caesar décida de s’approcher d’elle et heureusement, elle ne décida pas de s’enfuir en courant. Le plus surprenant quand elle se présenta, c’est qu’il se rendit compte qu’elle n’était pas pour l’espionner ou pour le travail tout court mais simplement parce qu’elle était en train de dessiner ses « traits durs » comme elle le disait. « Moi, j’ai des traits durs ? » lui dit-il en rigolant. « Nan, tu peux le garder, t’en fais pas. On retire pas son chef d’oeuvre des mains d’un artiste. » ajouta-t-il avec un regard bienveillant avant de le poser sur l’oeuvre. Il se rapprocha près d’elle en sentit sa douce odeur mais garda le regard fixé sur le dessin. Sans s’écarter d’elle, il plongea ses yeux dans les siens et ajouta : « T’as un sacré talent. Il est même plus beau que moi ! » en rigolant à nouveau, le sourire charmeur aux lèvres. Et même si le souvenir d’Owen revenait au galop dans sa tête, il le jetait d’un revers de la main pour ne penser qu’à l’instant présent, aux beautés de la vie.

Je souris quand il s'étonne de la manière dont je qualifie ses traits avec ma plume. C'est souvent difficile, à mon avis, de voir quelqu'un de la même manière. Pendant mes cours de dessin, j'ai pu remarquer à plusieurs reprises que, même si le même modèle posait devant nos yeux, nous avions cependant tous notre manière de déterminer ce que nous dessinions. C'est donc humblement et sans chercher à imposer mon point de vue même si c'est bel et bien ainsi que je le vois. Bel et bien ainsi que je l'ai dessiné, que je lui dis. "C'est simplement mon avis mais ils sont aussi très beaux, ne t'en fais pas." Artistiquement parlant, j'ai parfois du mal à prendre des hommes ou des femmes comme modèle mais j'ai rarement vu des traits aussi bien dessinés que les siens. Sans compter que j'ai un faible pour les mâchoires carrées et que la sienne l'est sans le moindre doute. Je garde alors mon croquis sur mes cuisses puisqu'il n'a pas l'air vexé ou dérangé le moins du monde. Ni même particulièrement flatté pourtant. "C'est vraiment gentil de ta part!" En vérité, je suis plutôt contente de pouvoir le garder. J'apprécie trop rarement un visage pour le mettre sur papier et devoir l'abandonné m'aurait peiné.

Je rigole à sa remarque et je ne peux m'empêcher de remarquer qu'il diminue légèrement la distance entre nous. Ca ne me pose pas de problème. J'aime beaucoup la compagnie des gens et rien ne me fait plus plaisir en général que de partager un moment avec quelqu'un. D'apprendre à le connaître. Les jambes en tailleur, je glisse mon carnet entre mes jambes pour libérer mes mains et lui désigner la place sur mon banc de pierre, à côté de moi. "Je t'en prie, installe toi. Après t'avoir dessiné pendant plusieurs minutes sans que tu ne sois fou de rage ou ne m'arrache mon dessin, je crois qu'on peut clairement faire fi des préludes gênants d'une rencontre banale!" Je jette un dernier coup d'oeil au croquis et je balance la tête, persuadée qu'il ne se voit pas tel qu'il l'est vraiment. Pourtant, en le regardant, on pourrait croire qu'il déborde de confiance en lui. Si bien que je me mets à me demander si je ne l'ai vraiment pas dessiné plus beau que ce qu'il est réellement. "Je doute que ce soit possible en fait. Trois possibilités s'offrent donc à moi. Soit tu manques cruellement de confiance en toi. Soit, tu es un menteur. Ou alors tu mourrais d'envie de me faire un compliment pour me charmer et tu n'as trouvé que celui du talent artistique. Ce qui ferait de toi un flatteur. Est-ce que je chauffe ou?" Evidemment, je plaisante parce que peu importe la raison de sa présence à mes côtés, je m'en réjouis. Rien ne vaut la compagnie d'une personne. Rien ne vaut la possibilité d'une nouvelle rencontre. Rien ne vaut un possible ami à mes yeux.

Il était amusant de voir que quelqu’un lui disait sincèrement de trouver ses traits durs. Peut-être que d’autres personnes avaient le même point de vue qu’elle, mais il n’avait jamais entendu personne lui dire droit dans les yeux — pas qu’il ne prenne ça pour une mauvaise critique, après tout, c’était sûrement ça qui devait attirer les filles droit sur lui. Il appréciait au final la franchise de la dessinatrice qui le complimentait par la même occasion. Tout semblait si doux et innocent au bord de la mer que Caesar se plia rapidement à ce petit jeu. « À côté de moi, tes traits sont bien plus doux. Mais ce que je préfère, ce sont des yeux bleus. Je te ferais bien la blague du père voleur qui a mis toutes les étoiles dans tes yeux, mais ce serait ringard. » Et pourtant, il venait subtilement de la faire. Il acquiesce en guise de « de rien » en lui laissant le soin de conserver gentiment son oeuvre tout près d’elle. Il n’était pas dérangé d’avoir été dessiné. Et pourtant, s’il avait été là, adossé sur le murt de la jetée en compagnie d’Owen, même s’ils ne faisaient que discuter et qu’il avait remarqué qu’elle était en train de les dessiner, il n’aurait pas réagi de la même manière. Il aurait laissé ses nerfs lâcher et s’en prendre à la jeune femme avant de lui retirer rageusement le dessin des mains. Il en aurait profité pour le déchirer et le jeter au loin, et les morceaux auraient été emportés par le vent jusqu’à la mer. Mais Owen n’était pas là. Tout allait bien. Il était détendu et c’était tout ce qui lui importait.

La jeune femme dont il ne connaît pas le nom lui propose gentiment de s’installer près d’elle et il s’exécute sans rechiner. On ne se plaint pas de la présence d’une si belle personne. « Fais gaffe, je peux encore te l’enlever rageusement des mains ! » qu’il lui dit en rigolant, faisant mine d’approcher sa main près du croquis pour voir si elle allait réagir. Évidemment, il n’en fait rien mais il ne cesse d’avoir cette idée qui cogne dans sa tête, cette réaction excessive qu’il est capable d’avoir quand quelqu’un d’autre est dans les parages. Mais la blonde dont les cheveux volent au vent le ramène rapidement à la réalité et sa réflexion le mène à penser qu’elle est loin d’être une fille comme les autres et surtout, loin d’être bête et naïve. Il ne décroche pas son sourire de ses lèvres et lui répond avec toute l’assurance qu’il possède déjà. « Hm, je dirais qu’il est évident que je ne suis pas un flatteur qui cherche à te charmer, encore moins un menteur et je crois que si je n’avais pas confiance en moi, j’aurai couru dans la direction opposée après que tu m’ais regardé. Donc aucune des trois. Juste la curosité. » Bien sûr qu’il était un flatteur et un menteur. Du moins pour cette réponse. C’était peut-être une question de fierté ou parce qu’il avait envie de jouer les mystérieux mais Caesar venait d’esquiver sa question risquée. À quoi bon lui avouer trop tôt qu’il n’était là que parce que les traits de la demoiselle lui plaisait ?