I found no cure for the loneliness , nothing here feels like home [Lizzie]

Lizzie n’avait pas eu très envie de venir au White Horse, mais le reste de son groupe avait insisté. Il fallait dire qu’il faisait assez moche depuis quelques jours, et que l’idée de devoir retourner jusqu’à Brighton les avait refroidis. La pluie lui semblait quant à elle plus acceptable que l’idée de croiser Emma au bar, mais ce n’était pas quelque chose qu’elle pouvait avouer à son groupe. Elle avait déjà suffisamment de mal à se l’admettre à elle-même. Ted n’arrêtait pas de la regarder par dessus sa pinte et Lizzie avait envie de lui envoyer la sienne au visage. Son admiration avait été drôle au début, mais ça virait à l’obsession et elle aurait préféré qu’il arrive enfin à passer à autre chose. Ce n’était pas faute de lui envoyer des signaux. Elle avait dû ramener une bonne dizaine d’hommes chez ses parents, souvent sous son nez. Mais peut-être qu’il commençait à reprendre espoir maintenant qu’elle s’était calmée. Et bien sûr, elle ne pouvait pas lui dire que c’était parce qu’elle sortait avec un de leurs profs. Vu l’animal, il aurait été capable d’aller les dénoncer en pensant la protéger, en se disant que Matthew profitait d’elle. Et puis quoi encore. Voilà qu’elle commençait à s’énerver toute seule. Elle était sur les nerfs ces derniers temps, sans bien réussir à expliquer pourquoi. Elle avait la sensation que Matthew s’éloignait parfois, qu’il prenait ses distances, comme s’il se préparait à rompre. Comme s’il voulait s’assurer qu’elle ne s’attache pas. Quoi qu’elle puisse se répéter à elle même, elle n’arrivait pas tout à fait à taire le pincement au coeur que provoquait cette idée. ”Lizzie, tu me reprends un verre ? Je suis fauchée.” Alicia lui donna un coup de coude, un grand sourire aux lèvres et Lizzie ne put pas s’empêcher de le lui rendre. Alicia, c’était sans doute la seule personne du “groupe” qu’elle considérait comme une amie, même si elle n’était pas au courant pour Matthew non plus. Lizzie ignora les rires des autres en fond avant d’attraper le verre de son amie, ignorant volontairement la pinte que Ted avait vidé pour lui tendre, manquant de s’étouffer au passage. Ça en devenait vraiment triste. ”Tu paieras la prochaine hein.” plaisanta Lizzie tout en sachant qu’elle paierait les prochaines tournées. Elle n’aurait pas pris le risque qu’Alicia la laisse seule ici, et puis elle, elle pouvait se le permettre. Elle avait les cartes de ses parents, et depuis l’arrivée d’Emma, ils n’osaient plus lui reprocher quoi que ce soit. Ça tombait bien puisqu’elle utilisait leur carte pour payer Emma et l’empêcher de parler de Matthew à tout le monde. Mais il valait mieux ne pas penser à ça pour le moment.

Elle s’approcha du bar sans le toucher. Il était collant avec les bières renversées pendant la soirée, et Lizzie n’avait pas envie de se tâcher. Elle commanda deux verres, doublant deux ou trois personnes qui étaient arrivées avant elle. Elle aurait eu tort de se priver de son charme après tout, ça fonctionnait à chaque fois. Elle jeta un coup d’oeil en direction des bartenders pour s’assurer qu’Emma ne travaillait pas ce soir et laissa échapper un soupir soulagé en constatant son absence. Elle était sur le point de payer pour ses deux pintes quand une voix attira son attention, la forçant à se tourner. Les sourcils froncés, son regard se posa sur un garçon d’à peu près son âge, un sourire timide aux lèvres. Son premier réflexe fut d’ouvrir la bouche pour lui dire qu’elle n’était pas intéressée, mais elle s’arrêta brutalement. Il l’avait appelée Lizzie, et pourtant son visage ne lui était pas familier. Il y avait quelque chose, un air, un détail comme un vieux souvenir à moitié oublié, et Elizabeth mit bien dix secondes à comprendre qui se trouvait face à elle. ”Landon ?” Si Lizzie avait été en train de tenir ses pintes elle les aurait sans doute lâchées de surprise. Mais heureusement pour elle et pour ses chaussures, les deux verres étaient bien en sécurité sur le comptoir. Elle ouvrit de nouveau la bouche avant de se rendre compte qu’elle ne savait pas quoi dire. Qu’est-ce qu’on pouvait dire à son meilleur ami d’enfance, à quelqu’un qui vous avait abandonné pendant quinze ans, à quelqu’un qui avait brisé votre petit coeur d’enfant ? On en disait sans doute rien dans ces cas là, mais Lizzie se força. ”Qu’est-ce que tu fais là ?” Elle n’en croyait pas ses yeux. Elle devait avoir l’air assez stupide, mais elle était trop choquée pour véritablement s’en préoccuper. Des clients commencèrent à râler dans son dos pour accéder au comptoir et elle se tourna pour leur lancer un regard noir, sortant ainsi de sa torpeur. Elle attrapa son regard et eut l’impression de se prendre une gifle, comme un retour dans le passé un peu violent. ”Tu es de retour à Donwell ?”

Lizzie n’en croyait pas ses yeux, et pourtant, plus elle le regardait, plus elle savait. C’était Landon qui se tenait devant elle. Landon, son meilleur ami d’enfance. Landon, celui qui l’avait tant provoquée qu’elle avait fini par rouler à vélo sans tenir le guidon, si bien qu’elle avait fini avec une cicatrice qui ne l’avait jamais quitter. Comme un souvenir de leurs après-midi à rigoler, à se chercher, et de la douleur qu’elle avait ressenti en le voyant disparaître du jour au lendemain. Elle ne savait pas si elle avait envie de le prendre dans ses bras, de le frapper ou de juste faire demi tour, de faire comme si de rien n’était. Comment est-ce qu’on était censé réagir quand son meilleur ami d’enfance, parti depuis quinze ans, revenait dans votre village sans vous prévenir ? Si Lizzie connaissait quelqu’un qui pouvait lui donner la réponse, elle l’aurait sans doute frapper jusqu’à ce qu’il crache le morceau. Malheureusement pour elle, elle doutait que qui que ce soit puisse lui répondre sur ce point. Elle ne savait pas si elle avait envie de rire ou de le frapper quand il lui répondit qu’il était là pour boire une bière. Elle était presque soulagée de voir qu’il n’avait pas l’air si changé que ça, mais elle avait aussi envie d’avoir une réponse sérieuse. Elle hocha la tête, un peu bêtement, toujours sous le choc. Oui, de toute évidence, elle était encore là. Sinon elle ne passerait pas sa soirée au milieu des alcoolos de la ville, à enchainer les pintes pour oublier qu’elle habitait dans ce trou paumé. Ça, c’était ce qu’elle aurait répondu à son meilleur ami, mais Landon n’était plus son meilleur ami. Plus depuis de longues années, et elle n’était pas sûre de pouvoir se permettre d’être aussi directe qu’elle pouvait se le permettre à l’époque. Ils avaient sans doute tous les deux un peu changé, et il n’apprécierait peut-être pas qu’elle le charrie comme elle le faisait quand ils étaient petits. Même si ça la démangeait. Comme quoi les réflexes ne partaient jamais vraiment. Elle fronça légèrement les sourcils lorsqu’il s’interrompit au milieu de sa phrase, mais sans méchanceté. Elle se demandait s’il avait cherché à se renseigner sur elle en arrivant. Elle avait envie de se dire que c’était le cas, non pas qu’elle l’admettrait.

Elle haussa les épaules. ”Bah oui, je suis encore coincée dans ce trou paumé.” Le groupe dans son dos commença à râler un peu plus fort, ‘vous coincez surtout les autres pour l’instant’ mais Lizzie les ignora cette fois, se tournant vers Landon tout en levant les yeux au ciel. Elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille avant de se poser une main sur sa hanche. ”Tout le monde n’a pas eu la chance de pouvoir s’échapper.” Elle avait dit ça sur un ton amusé, comme pour plaisanter, mais le reproche n’était pas très bien masqué. Elle n’avait pas voulu l’attaquer ou sous entendre que tout était de sa faute, mais elle se souvenait aussi bien de leurs bons moments que de la peine qu’elle avait ressenti quand il était parti. Après plusieurs mois, elle avait même été incapable de se souvenir d’autre chose, et elle avait mis plusieurs années à réaliser que le garçon avec qui elle avait passé ses après-midi n’avait sans doute pas eu le choix, et qu’elle aurait mieux fait de blâmer ses parents. Malgré ça, elle n’avait apparemment pas réussi à complètement oublier sa rancoeur d’enfant. ”Tu es là avec des potes ? Et cette fois je parle bien du pub.”

Lizzie n’avait pas envie de lui en vouloir, elle savait que ce n’était pas logique de lui en vouloir. Elle le savait, mais elle avait du mal à s’en empêcher. Que ce soit à cause de ses parents ou non, elle se souvenait juste d’avoir eu un meilleur ami un jour, et de s’être retrouvée toute seule le lendemain. Pas de lettre, pas de mot, pas même un au revoir. Ne serait-ce que pour ça, elle lui en avait beaucoup voulu. Et même si elle savait que c’était ridicule d’avoir conservé une partie de cette rancoeur, ça ne l’effaçait pas pour autant. Elle lui rendit son sourire en l’entendant dire qu’il n’avait pas réussi à s’échapper non plus, mais son sourire devait être un peu crispé, pas tout à fait naturel. Il était peut-être revenu, mais il était aussi parti pendant longtemps. Et ça, Lizzie ne pouvait pas simplement l’oublier. Elle suivit son geste du regard pour se rendre compte qu’il n’avait qu’une seule pinte avec lui. Ça paraissait peu pour être avec des amis, mais on ne payait pas forcément des verres à tout le monde. Lizzie n’avait que deux verres, et pourtant elle était ici avec des amis. Elle ne savait pas si elle avait envie d’être agacée ou heureuse de voir Landon débarquer à Donwell, comme ça, comme si de rien n’était, mais une chose était sûre, les réflexes revenaient vite. Elle ne put pas retenir un sourire amusé, avec un haussement de sourcil moqueur. ”Ne t’inquiète pas pour ta réputation. Tu n’as jamais été sociable.” Elle avait parlé sans réfléchir, c’était venu si naturellement qu’elle mit quelques secondes à se rendre compte qu’elle avait sans doute dit une bêtise. Le Landon qu’elle avait connu n’était pas sociable, en tout cas pas avec d’autres personnes qu’avec elle, mais il avait changé. Landon, elle ne le connaissait plus, et elle allait devoir s’y faire. Elle détourna le regard avant d’attraper sa pinte et d’en boire une longue gorgée. Elle hocha la tête tout en buvant, un geste qu’elle avait eu l’occasion de parfaire avec les années. Elle reposa sa pinte sur le comptoir. ”C’est peut-être dur à croire, mais je ne bois pas toute seule, je te rassure.” Lizzie ne put pas s’empêcher de sourire en répondant, amusée malgré elle de voir que les réflexes semblaient revenir aussi vite chez Landon que chez elle. Elle aurait pu presque croire qu’ils étaient encore proches, qu’ils passaient encore leurs journées ensemble. Malheureusement pour elle, l’illusion ne dura que quelques secondes. Elle sentit une main sur son épaule et se retourna, prête à insulter les idiots qui la poussaient depuis tout à l’heure pour accéder au bar, mais elle s’interrompit en voyant que c’était Ted. Elle aurait préféré les idiots du comptoir pour être honnête. ”Alicia voulait s’assurer que tout allait bien. Il t’embête ?” Ted désigna Landon d’un signe de la tête et Lizzie ne put pas s’empêcher de lever les yeux au ciel. ”S’il m’embêtait, je serais assez grande pour me débarrasser de lui toute seule.” Elle secoua la tête avant de faire signe à Ted de retourner s’asseoir. ”Tu peux lui amener son verre si tu veux, je vous rejoindrai après.” Lizzie lui tourna le dos, se concentrant à nouveau sur Landon. Elle se sentait un peu gênée de l’interruption de Ted, non pas parce qu’il lui avait fait faire ou dire une bêtise, mais plus parce que Landon et Ted appartenaient à deux parties bien différentes de sa vie. C’était un peu comme organiser une fête en groupant deux gangs de potes qui ne s’étaient jamais rencontrés. C’était toujours un peu gênant. Elle vérifia rapidement par dessus son épaule que Ted était bien parti avant de secouer la tête. ”Désolée, il est un peu collant.”

Lizzie avait du mal à croire que Ted arrive toujours à trouver un moyen de se montrer encore plus collant, encore plus pathétique que la fois précédente. Et pourtant, il y arrivait très bien. Elle l’avait déjà vu lancer des regards noirs aux mecs à qui elle parlait en soirée, même si elle ne les laissait plus la toucher depuis quelques mois, depuis Matthew. Ted n’avait jamais été très discret, mais Lizzie avait l’impression que c’était de pire en pire. Il ne se contentait plus de ronger son frein dans son coin, maintenant il fallait qu’il vienne l’emmerder directement. Franchement c’était ridicule. Lizzie n’avait jamais compris la jalousie, pas avant Matthew en tout cas, mais de là à être jaloux alors qu’on n’était même pas avec la personne concernée, elle allait devoir le remettre à sa place rapidement avant que ça ne dégénère. Lizzie fit une note mentale d’aller lui parler un autre jour avant de se concentrer sur Landon. Elle secoua la tête, amusée malgré elle par son ton. Ils ne s’étaient pas vus depuis longtemps, mais elle aurait pensé que Landon se souvenait qu’il valait mieux ne pas la provoquer. Lizzie avait toujours eu du mal avec l’autorité, et surtout avec les gens qui lui disaient qu’elle ne pouvait pas faire quelque chose. Elle croisa les bras contre sa poitrine en haussant un sourcil. Elle avait l’habitude de ce geste, elle l’utilisait souvent pour essayer d’impressionner les gens à qui elle parlait. Avec Landon, elle savait que ça ne marcherait pas, d’autant plus qu’elle était encore un peu en train de sourire. ”Non, j’ai meilleur goût que ça quand même. Mes potes sont un peu plus loin, à une table.” Elle regarda rapidement en direction de la table où Alicia et le reste du groupe étaient en grande discussion. ”Et ce n’est pas mon copain.” Elle avait meilleur goût, encore une fois. Elle n’était pas persuadée que Ted ait vraiment donné une image flatteuse de son groupe de potes, mais elle doutait aussi que Landon en ait vraiment quelque chose à faire. Il n’était pas attaché aux étiquettes, il se fichait de tout quand ils étaient plus jeunes. Lizzie se reprit une nouvelle fois à penser à lui comme elle le faisait à l’époque, comme s’il n’avait pas changé. Elle allait devoir se faire à l’idée qu’elle ne se tenait pas face à son meilleur ami de l’époque. Il avait sans doute conservé certains traits de caractère, peut-être quelques habitudes, mais Lizzie allait devoir comprendre qu’elle ne connaissait pas l’homme à qui elle parlait. Qu’elle allait devoir ré-apprendre à le connaître. Enfin, si elle en avait envie. Elle était partagée pour l’instant.

Elle sentit son coeur se serrer légèrement en l’entendant reprendre la parole, lui disant qu’elle pouvait retourner à son groupe de potes si elle en avait envie. La vérité, c’était qu’elle n’en avait aucune envie, elle n’avait déjà pas eu très envie de les accompagner au pub à la base. Mais faute de pouvoir voir Matthew, elle avait accepté. Elle avait passé la soirée à s’ennuyer fermement, et il n’y avait que l’arrivée de Landon qui l’avait sortie de sa torpeur, et d’une sacré manière. Elle ne s’était pas attendue à le revoir un jour, et encore moins par hasard. Une partie d’elle-même l’avait imaginé revenir à Donwell pour venir la voir, mais ça faisait bien longtemps qu’elle avait abandonné cet espoir. Et même si elle refusait de l’admettre, elle se sentait un peu déçue de voir qu’il avait fallu un coup du hasard pour que leurs routes se croisent. Comme quoi, il s’en étaient passé des choses depuis son départ. Elle se força à ravaler sa remarque sur le fait qu’il allait encore essayer de se barrer comme un voleur, préférant éviter de le vexer. Ce n’était pas son genre de s’empêcher de parler, mais elle n’était pas certaine de pouvoir sortir sa blague sans avoir l’air agressive. Elle n’était même pas certaine que ce soit une blague. La petite boule au fond de son ventre suggérait même tout l’inverse. Elle but une nouvelle gorgée de sa bière pour se laisser quelques secondes pour respirer. ”Tu peux le dire si tu veux aller voir ton père, hein.” Peut-être qu’elle aurait dû se laisser quelques secondes de plus en fin de compte. Elle s’éclaircit la gorge, avant de se reprendre. ”Enfin, je ne suis pas particulièrement pressée. Je les vois tout le temps eux, toi ça fait un peu plus longtemps déjà. Tu dois bien avoir deux trois trucs à me raconter non ?”

Même si Lizzie aurait du mal à l’admettre, elle se sentait un peu soulagée d’avoir lâché sa petite pique. Elle ne pensait pas que Landon allait la relever, mais ce n’était pas ça l’important. Elle avait l’impression d’un poids sur la poitrine, et qu’elle allait avoir besoin de se défouler sur quelque chose, sur quelqu’un pour l’apaiser. Mais c’était ridicule. C’était ridicule de se sentir encore vexée de quelque chose qui s’était passé il y a plus de quinze ans. Et Lizzie refusait de se montrer ridicule, pas si quelqu’un pouvait s’en rendre compte en tout cas. Ses petits moments de folie, elle les gardait pour elle, ça valait mieux pour tout le monde. Elle attrapa son regard et se retrouva un peu surprise de le voir rire, puis un peu vexée par sa réponse. Il aurait préféré ne pas être là ? Lizzie était sur le point de lui dire que personne ne le retenait dans ce cas quand Landon se reprit, précisant qu’il parlait de son père. Lizzie détourna le regard, se demandant s’il s’était repris à cause de ce qu’il avait pu lire sur son visage. Mais il valait mieux ne pas trop s’attarder là dessus. Elle n’était pas surprise de voir que Landon ne s’entendait pas avec son père, après tout il avait vécu seul avec sa mère pendant des années, et il devait sans doute avoir de bonnes raisons d’en vouloir à son paternel pour la séparation de ses parents. Lizzie avait entendu des rumeurs dans le village, mais à l’époque elle n’avait pas voulu comprendre, pas voulu écouter. Les histoires de grandes personnes ne l’avaient pas intéressé, tout ce qui comptait c’était que Landon n’était plus là. Alors elle en avait voulu aux quatre parents, les siens comme ceux de Landon, sans chercher à savoir si certains étaient plus fautifs que d’autres. Avec les années, elle avait essayé de relativiser mais sans jamais réussir à rester objective.

Lizzie passa une main dans ses cheveux avant de sourire au ton de Landon. Elle préférait ça, retrouver le ton taquin de quand ils étaient enfants. Les choses avaient changé, et Lizzie savait que ce ne serait plus jamais comme avant, même si elle l’avait longtemps espéré. Mais s’ils pouvaient garder ne serait-ce qu’un dixième de ce qu’ils avaient été, Lizzie se disait que Landon finirait peut-être par reprendre sa place de meilleur ami, sans grande compétition avec les gens qui l’attendaient à sa table d’ailleurs. Lizzie porta son verre à ses lèvres pour s’empêcher de répondre “bah tu pourrais commencer par m’expliquer pourquoi tu ne m’as jamais écrit”. Ne pas passer pour une folle qui était restée coincée sur une histoire vieille de plus de quinze ans, c’était l’essentiel. Elle fit une semi révérence, un petit sourire aux lèvres. ”C’est trop d’honneur, mon brave homme.” Lizzie était en train de lever son verre pour prendre une nouvelle gorgée quand la question de Landon la fit éclater de rire. Sa main trembla tellement qu’elle manqua de renverser une partie de sa pinte. ”Tu sais très bien que rien ne change ici.” Elle fronça les sourcils en feignant la concentration. ”Ah non, je suis mauvaise langue. La vitrine du salon de thé est verte maintenant, plus rose. Je pense que le nouveau proprio est un genre d’écolo.” Lizzie tenta de mimer des guillemets autour du mot écolo, mais avec un verre à la main ce n’était pas évident. Elle finit par abandonner, préférant utiliser ses mains pour prendre une nouvelle gorgée de sa pinte. C’était mieux comme ça. Son sourire s’effaça petit à petit tandis qu’elle secouait la tête. Elle avait envie d’en savoir plus sur Landon, elle était persuadée que sa vie avait été plus intéressante que la sienne. Il fallait avouer que ce n’était pas bien dure, les seules choses intéressantes dans sa vie, elle n’avait pas envie de lui en parler. En tout cas pas tout de suite. Ce n’étaient pas de choses dont on parlait à quelqu’un qu’on connaissait à peine, même si ça lui faisait mal de penser à Landon comme ça. Lizzie savait toutefois que si elle voulait satisfaire sa curiosité, il faudrait d’abord satisfaire celle de Landon. Elle croisa à moitié les bras, ce qui, encore une fois, n’était pas évident avec une pinte à la main. ”Mais plus sérieusement, je n’ai pas fait grand chose. De toute façon, il ne se passe rien de bien palpitant par ici, tu le sais très bien.” Elle attrapa son regard et haussa les épaules. Elle se souvenait d’une époque où la vie avait été passionnante à Donwell, où tout avait été prétexte à aventures, où chaque endroit de la ville leur avait servi de décor pour leurs aventures, puis d’air de jeu pour leurs cascades et leurs bêtises. Mais le village avait perdu tout son intérêt quand il était parti. Bien sur, ça, elle n’allait pas le dire. ”Je suis à la fac de Brighton. En droit. Mais franchement ça ne m’intéresse pas, ça empêche surtout mes parents d’être sur mon dos toute la journée.” Elle attrapa son verre pour boire une gorgée, presque surprise de voir qu’elle avait déjà vidé la moitié de son verre. ”Et toi alors ? J’ai bien gagné le droit d’avoir quelques réponses non ?”

Lizzie sentit ses lèvres s’étirer en un sourire mais elle se força à ne pas le laisser aller trop loin. C’était bizarre de se dire qu’à une époque, Landon avait été la seule personne avec qui Lizzie pouvait être elle-même, qu’à une époque elle ne se serait retenue de rien devant lui. Certes, quand on est petit on a moins d’inhibitions, on se laisse plus facilement aller, mais Lizzie savait que ce n’était pas l’âge le problème. C’était la distance, le temps passé l’un sans l’autre. Et surtout cette petite boule au fond de son ventre qu’elle n’arrivait pas à définir, comme de la rancoeur, ou de la jalousie. Peut-être un peu des deux. En tout cas, Lizzie refusait de se laisser complètement aller, de baisser sa garde. Maintenant qu’elle y pensait, ça faisait des années que ça ne lui était pas vraiment arrivé. Pas depuis qu’il était parti. Cette idée suffit à l’empêcher de sourire trop fort, elle devrait se souvenir de cette astuce la prochaine fois. Elle avait beaucoup d’amis à Donwell et à Brighton, et elle avait Matthew, mais avec le professeur ce n’était pas pareil. Ils étaient en couple (plus ou moins) et elle n’avait pas envie de lui faire peur, alors elle ne lui montrait que ses bons côtés. Les mauvais côtés, elle les réservait aux gens qu’elle avait envie de blesser, ou aux gens en qui elle avait entièrement confiance. Mais depuis le départ de son meilleur ami, elle avait eu beaucoup du premier genre, et plus personne du second. Lizzie se força à se concentrer sur ce que Landon disait, souriant à ses vannes sur le salon de thé et secouant la tête quand il se moqua de son orientation. Elle l’imaginait peut-être, mais elle avait l’impression de voir la même retenue chez Landon que celle qu’elle s’imposait à elle-même. Non pas qu’elle aurait pu le blamer. Elle avait à la fois envie de rester là toute la nuit pour tout apprendre de sa vie, pour comprendre tout ce qui lui était arrivé, et envie de s’enfuir, de retourner dans un petit cocon qu’elle s’était fabriquée, dans ce monde devenu familier, ce monde sans Landon. Elle se sentait à la fois heureuse et mal à l’aise de l’avoir face à lui, sans savoir quelle émotion dominait vraiment. Elle avait tant de choses à dire, et elle était pourtant incapable de les exprimer. Ça lui faisait bizarre de parler de banalités avec Landon, mais elle ne savait pas quel autre sujet aborder. Tout semblait être un sujet dangereux, un sujet trop personnel pour des adultes qui ne se connaissaient pas. C’était sans doute ça le plus bizarre : devoir admettre qu’ils ne se connaissaient pas. Qu’ils ne se connaissaient plus.

Elle lui lança un air faussement choqué en l’écoutant dire qu’il n’avait pas promis de raconter sa vie si elle lui parlait d’elle-même. Mais Landon avait repris un air plus sérieux avant qu’elle ne puisse le charrier, ou l’insulter. Ou les deux. Policier ? Elle n’aurait jamais imaginé le petit avec qui elle jouait, avec qui elle s’amusait à faire les 400 coups devenir policier. Ça lui semblait presque absurde, mais elle se força à se rappeler que le Landon qui se tenait face à elle n’était pas celui de ses souvenirs. Peut-être qu’il était devenu coincé avec l’âge. Après tout, elle s’était elle même un peu calmée. Enfin, si on excluait le fait qu’elle couchait avec son prof de droit international. Elle fronça légèrement les sourcils en l’entendant parler de Londres comme s’il n’avait rien à en raconter. Elle en doutait fortement et elle avait l’impression qu’il essayait de lui cacher quelque chose. Ou peut-être qu’il n’avait pas envie de lui faire de la peine en lui racontant à quel point il s’était éclaté quand il était parti alors qu’elle avait pleuré toutes les larmes de son petit corps en le perdant. ”Je suis sûre que tu as pleins de trucs à raconter. Je t’ai raconté les dernières nouvelles de Donwell après tout.” plaisanta-t-elle, sans pour autant savoir si elle avait envie d’entendre parler de sa vie à Londres ou non. Elle était curieuse, mais elle savait aussi que ses histoires allaient sans doute lui faire mal. Elle but une longue gorgée de sa bière pour s’empêcher de rétorquer qu’elle s’était bien habituée à jouer sans lui quand il s’était barré, préférant éviter de passer pour une dingue. C’était devenu un emploi à plein temps pour elle ces derniers temps. Lorsqu’elle releva les yeux vers le visage de Landon, elle se sentit tout à coup fatiguée, presque abattue, mais elle se força à sourire. Elle avait passé des semaines, des mois à se demander où Landon était parti. À demander à ses parents, à demander à qui voulait bien l’écouter, mais sans jamais avoir de réponse. Elle l’avait imaginé parti à l’autre bout du monde, ou dans un pays si pauvre qu’il ne pouvait pas lui envoyer de carte postale ou tenter de l’appeler. Mais Londres, c’était presque décevant. Il avait passé des années à 1h de train d’elle, et pourtant il aurait pu être à l’autre bout du monde que ça aurait été pareil. Quelque part, elle aurait préféré qu’il ait passé toutes ces années dans une jungle. Elle se força à sourire avant de boire une nouvelle gorgée de bière. Elle avait presque fini son verre, et même si elle avait déjà bien bu avant d’apercevoir Landon, elle avait l’impression de ne pas être assez torchée pour cette conversation. ”Londres alors, hein ? Vous habitiez où avec ta mère ?” Elle lui lança un regard plein d’interrogations, même si dans le fond elle se fichait de la réponse. Ça ne changerait pas grand chose. Mais sa question lui avait fait pensé à quelque chose. S’il était parti avec sa mère, pourquoi était-il revenu maintenant ? Mais encore une fois, c’était une question trop personnel pour ce nouveau Landon, celui qui n’était plus son meilleur ami.

Les doigts de Lizzie se resserèrent autour de sa pinte en entendant la réponse de Landon. Elle se souvenait du garçon qu’elle avait connu, il avait été simple, drôle, naturel, bien loin du jeune homme qu’elle avait face à lui. Sa réponse paraissait trop hautaine pour pouvoir correspondre au souvenir qu’elle avait gardé de Landon, mais peut-être qu’il plaisantait ? Peut-être qu’il était mal à l’aise lui aussi ? Ça, il l’était sans doute, mais Lizzie n’était pas certaine que ça excusait tout. Lui dire d’aller lire les journaux, c’était doublement vexant. Une manière de lui dire qu’il n’avait pas à répondre à sa question, et de lui rappeler que Londres, c’était autrement plus connu, autrement plus important que Donwell. Elle était d’accord avec lui là-dessus, bien sur, mais elle n’aimait pas l’entendre le dire. Pas quand elle se plaçait elle-même du côté de Donwell. Elle détourna le regard en l’écoutant raconter sa vie, ses soirées passées à embarquer des mecs ivres sur la voie public. Ses lèvres serrées dans une expression dure, Lizzie croisa les bras contre sa poitrine après avoir terminé sa pinte. ”Je vois ça.” Elle n’ajouta rien de plus, à quoi bon après tout ? Elle n’avait pas l’impression que Landon lui avait donné une vraie réponse. Il n’avait pas parlé de lui, de sa vie, de rien. Si elle avait été un peu plus honnête avec elle-même, Lizzie aurait pu admettre qu’elle n’avait pas donné beaucoup de détails de son côté non plus, mais Lizzie n’avait jamais su être très honnête avec elle-même. Il était bien plus simple de reprocher les choses aux autres que de se remettre en question après tout. Mais si elle avait eu le moindre remords vis-à-vis de son attitude, il s’envola en entendant la suite. Une carte ? Dans le genre non réponse, Landon avait fait fort. Alors quoi, il pensait peut-être que Lizzie était si paumée dans sa campagne qu’elle n’aurait pas su placer son quartier sur une carte juste avec le nom ? Qu’elle n’était jamais allée à Londres elle-même ? Elle se tourna de nouveau vers Landon, son regard encore un peu plus dur que tout à l’heure. Pour la première fois depuis qu’elle avait entamé la conversation, elle regrettait de ne pas avoir fait semblant de ne pas le reconnaître. Elle aurait aimé garder l’image de Landon plus jeune, quand ils avaient été amis. L’homme qu’elle avait face à elle, elle ne le reconnaissait pas, et elle n’était plus sûre d’avoir envie de le connaître. Elle avait la sensation qu’on venait de lui voler un souvenir, comme si ce nouveau Landon avait volé la place de l’ancien, et elle ne pouvait pas s’empêcher de lui en vouloir. Pour la première fois depuis des années, son meilleur ami de l’époque lui manquait vraiment. Elle secoua la tête, un petit sourire agacé aux lèvres. Bien sur qu’elle était allée à Londres, elle y allait même souvent. Bon, elle y était allée une ou deux fois, mais ce n’était pas la question. ”Oui, laisser Donwell derrière, ça a l’air d’être un truc que tu aimes faire, toi.” Les mots étaient sortis tous seuls, sans qu’elle ne parvienne à les retenir. Un peu plus sobre, Lizzie se serait sans doute rendue compte qu’il était ridicule de reprocher à Landon d’être parti à Londres, de l’avoir abandonnée à l’époque, mais Lizzie était loin d’être sobre. Et plus que le fait d’être parti, elle lui reprochait le fait de n’être jamais revenu, même juste pour une après-midi, pour quelques heures. Le chemin de Londres à Donwell n’était l’affaire que d’une heure, à peine, et pourtant il n’était jamais revenu, jamais. Il l’avait abandonnée, et c’était ça que Lizzie n’arrivait pas à digérer. ”La fac de Brighton me va très bien, et ça me permet de ne pas lâcher tous mes potes.” Un beau mensonge, mais un mensonge crédible au moins. Elle était simplement restée à Brighton parce que ses parents avaient refusé de lui payer un appartement à Londres. Elle se fichait bien du niveau de la fac, elle voulait juste avoir un semblant d’occupation pour que ses parents lui foutent la paix. Sa voix était sèche, dure, et Lizzie reposa son verre sur le comptoir en poussant un homme au passage. Elle l’ignora quand il commença à râler et attrapa le regard de Landon. Elle avait envie de se mettre à hurler ou à pleurer. Peut-être un peu des deux, mais son visage ne trahissait plus aucune émotion. ”Je suis désolée que tu aies dû revenir, puisque ça a l’air de tellement t’emmerder.” Elle pointa son groupe de potes d’un geste du menton. ”Je vais retourner voir mes potes un peu, mais de toute façon on se croisera surement. C’est plus simple d’éviter les gens à Londres qu’ici, mais bon, tu le sais déjà.”