« dancing around with no control. » — ((J&A#01))

Voir les gens minauder devant lui le met mal à l’aise. Encore plus si ce sont des femmes. Il se doute bien que son père n’a pas été le plus fin en les engageant et que c’était plus pour le plaisir de ses yeux que pour leurs réelles compétences. Il s’étonne qu’aucune ne soit assez raisonnable pour avoir compris la supercherie, encore plus quand elles le pensent comme lui. Alors que, Austen, est totalement différent. Son père ne voulait pas finir seul. Encore moins dans un moment pareil qu’était la maladie. Ce n’est qu’en épluchant la comptabilité qu’il s’est rendu compte des pourboires un peu trop conséquent que son père donnait à certaines employées. Sans doute parce qu’il avait couché avec. Il passe sa main sur son visage en réalisant le malaise dans lequel il va devoir vivre les premiers temps ; ce qu’elles attendront surement de lui. Mais Austen n’est pas homme à se laisser faire et il fulmine déjà à l’idée de les remettre à leur place.

Il lève les yeux au ciel quand il voit l’une des employées essayer de le charmer, secouée sa poitrine sous ses yeux, au point même de l’écœurer. Il fronce les sourcils Austen, un peu décontenancé par tant de faste et de démonstration. « Mon père était un homme avare de jolies choses, qui n’étaient pas à sa portée. Ce qui n’est pas mon cas et je vous prierais à l’avenir de respecter ce qu’on appelle… le consentement. » Mais bien vite, son regard accroche celui d’une autre, avec une beauté naturelle, sans pareille. Ses traits marquent à quel point la vie ne semble pas facile pour elle, même si son sourire tente de masquer ses pires craintes. Il voit bien que ça ne va pas et que toute cette confiance, cette retenue n’est qu’une mascarade pour ne pas s’effondrer. La force qui se dégage d’elle le touche en plein cœur et il la respecte, sans réellement savoir qui elle est. Juste cette prestance, cette classe innée lui suffisent. Et il est certain qu’elle n’a rien avoir avec les autres Austen. D’ailleurs, quand ses cheveux giflent sa collègue, il n’y a rien de violent, d’agressif, il se surprend à vouloir y passer ses mains, ses doigts pour en sentir le parfum. Y récolter les écumes d’effluves qui s’en dégagent. Avec la certitude que cela pourrait lui plaire. Même sa façon de lui parler est rempli de beauté.

Il se râcle la gorge pour lui répondre. Quelque peu déboussolé, décontenancé par le spectacle sous ses yeux. « J’apprécie votre franchise Ms Fischer. Pour la peine, je vais vous la rendre ? » Il lui sourit en penchant sa tête sur le côté. Elle est professionnelle, même dans sa façon de lui serrer la main, il est déstabilisé. Il ne s’y attendait pas Austen mais il s’attarde sûrement quelques secondes de trop. Vivaces. Éphémères. « J’ai été architecte. Enfin, j’ai fait des études. Que j’ai lâchement abandonné pour vivre ma vie. Mais je suis venu pour reprendre l’entreprise de mon père, oui. J’ai vu certains de vos prototypes Ms Fischer d’ailleurs. J’admire votre ingéniosité pour certains détails. » Flatteur, peut-être. Mais surtout, sincère. Beaucoup trop.

Sa confiance l’ébranle, le chamboule même au-delà du possible. Il aime ce trait de caractère chez les femmes. Elle ne se laisse pas démonter la Fischer et pour ça, il a une forte estime d’elle. D’autant qu’en regardant ses yeux, il voit à quel point elle semble souffrir. C’est une idée qui ne le lâche pas à Austen. C’est une évidence qui le frappe et il ne sait pas quoi en faire. Ce n’est pas le moment, il le sait, il ne peut rien faire pour l’instant, mais il se donne le temps d’y arriver, de pouvoir. Et elle a un certain charme, dans sa gestuelle, dans sa façon de se tenir, terni malgré tout par le manque cruel de ceux qui ne la regardent plus. Pourtant, c’est une beauté intemporelle, c’est certain. Une beauté qui rendrait fou n’importe quel homme, à commencer par lui. Mais il ne veut pas jouer à ce jeu-là, il ne veut pas essayer d’entrer dans ce genre de vice. Le patron qui s’éprend de son employée, clairement, plus cliché, on meurt non ? « Vous verrez bien. » qu’il appuie d’un clin d’œil malicieux, avant de boire dans sa coupe de champagne. Il n’aime pas trop parler Austen. Faire de grands discours pour si peu, l’épuise. « Ils ont atterri sur mon bureau. Je n’ai fait qu’y jeter un coup d’œil. » Et il ne ment pas. Il ne sait pas mentir Austen, même s’il le voulait, il ne pourrait pas le faire. Bien trop droit, bien trop sincère, bien trop terre à terre aussi, d’une certaine façon.

« Pour mes dessins, j’ai un peu perdu la main, mais je suppose que c’est comme le vélo. On n’oublie pas. » Il redessinait parfois, des plans. Surtout pour les lieux où il allait autour du globe. Ces endroits où la pauvreté n’était que le seul prix à payer et où de ses mains il bâtissait à partir de rien des bâtiments de fortune. Sa curiosité le pique, quand elle le questionne sur ce qu’il a fait durant ces dernières années. Elle lui laisse une porte de sortie mais Austen ne veut pas qu’on le voit comme son père. Il s’y refuse. « J’ai travaillé dans l’humanitaire. Le luxe de mon père ne m’intéressait pas alors… j’ai choisi d’aider les autres. Et je trouve que l’on peut trouver des richesses partout. Dans un regard. Dans un sourire. Dans un serrage de mains. Tout peut être une richesse. Quand on sait où regarder. » Le rien de ces gens de fortune le faisait parfois culpabiliser d’avoir tout, en un claquement de doigt. Tout, à porter de mains. En oubliant l’essentiel. Le plus pur des présents. « Vous ne me dérangez pas. » Il se baisse à son oreille pour lui y glisser quelque chose, pour être certain qu’elle seule entende. « Vous semblez être la seule à avoir un minimum de discussion… intéressante. Je vous en voudrais de m’en priver. » Qu’il fait avec une moue, pour la taquiner, avant de lui lancer un sourire. Il la trouve intéressante, à se donner de grands airs si sûrs, si purs, alors qu’au fond, il est persuadé qu’elle a quelque chose de briser, qui lui fait si mal. Et son instinct ne le trahit jamais. C'est le genre de choses qui le touchent au plus haut point, mais qui le perdent aussi, bien souvent.

Il la trouve si autoritaire, ça l’amuse à Austen. De voir cette poigne dans un gant de velours. Être douce et si cruelle à la fois. Sa voix est tranchante mais elle ne le leurre pas. Elle ne le trompe pas à Austen. Toutes les tonalités, il les entend, il les comprend, il les devine. Il suppose que derrière cette voix si sûre d’elle, il y a dû y avoir tellement d’obstacles, tellement de tourments, tellement de douleurs avant d’avoir une telle force dans son sillage. Même quand il a découvert ses créations, il était fasciné par la maîtrise du coup de crayon ; par la justesse des courbes et des traits. Mais il voyait aussi la maladresse, l’incertitude, sous les arabesques. Surtout les brouillons. Ce manque de confiance en elle, même si elle s’acharnait. C’était une femme, qu’il pense, capable de se donner entièrement, dans tous les domaines. Au détriment de sa propre personne, simplement par conviction. Par envie.

C’est pour ça que, dès le début, quand il s’est retrouvé face à elle, Austen n’a pas vraiment hésité. Non pas pour la charmer, non pas pour la mettre dans son lit (encore moins), mais surtout parce qu’elle a quelque chose qu’il ne saisit pas. Déchiffrer les gens est une vaste aventure. Elle demande du temps pour déceler réellement ce qu’ils ont, ce qu’ils sont, ce qu’ils pensent être. Et il n’est pas idiot. Loin de lui l’envie de la blesser ou de la froisser. D’une quelconque façon que ce soit. « Peut-être m’aideriez-vous à retrouver ce talent ? Quelques-uns de mes chefs d’œuvres sont encadrés dans le bureau de mon père. Vous avez dû sûrement les voir. Je ne comprends pas pourquoi il les a gardé. » Il hausse les épaules, un peu parce qu’il s’en moque que son père les ait gardé, il sait que c’était surtout pour se vanter d’avoir eu un fils doué, lui rappelant sa déception qu’il ne soit pas aller plus loin. Mais la première question qu’il lui pose, elle est surtout là pour la défier. Il veut voir ce qu’elle cache, si elle est aussi lionne et enragée que laisse sous-entendre sa voix, sa gestuelle. Elle tout entière. « J’ai vécu dans un monde de charogne, quasi toute ma vie aux côtés de ma mère. Le monde est une jungle. Je pense que je n’aurais pas trop de mal à m’y faire. » Il laisse échapper un petit rire, amusé. Le fait qu’elle le mette en garde est parfaitement mignon. Mais il n’est plus un enfant. Il n’est pas dupe. Des causes, il en a défendu, contre des requins bien plus avares que ceux réclamant un simple contrat d’architecte. Alors il sait, qu’il pourra gérer.

En revanche, en la voyant le repousser gentiment, il ne peut se retenir de sourire, un peu. Discrètement, il dessine ses lèvres, tout aussi surpris. A-t-il dépassé les bornes ? « Les gens pensent toujours ce qu’ils veulent bien penser. On ne peut pas plaire à tout le monde et… on ne pourra jamais les empêcher d’être cons. Tous les goûts sont dans la nature Ms Fischer. N’est-ce pas ? Cela dit… pardonnez mon indélicatesse. Loin de moi l’idée de vous mettre mal à l’aise ou de vous gêner. » Il est sincère, quand il s’excuse et s’écarte, encore plus un peu désolé. Il ne voulait pas l’offenser. « Avec plaisir et joie. Votre vivacité d’esprit est intrigante. » Qu’il dit, alors que quelqu’un d’autre ne l’accapare, encore.

La soirée bat son plein. À son grand étonnement, cela se passe plutôt bien, hormis quelques employées qui fantasment sur lui. Il s’en amuse, parce que ça n’est qu’une soirée pour faire connaissance, pour tâter le terrain, pour apprivoiser un peu ses futurs collaborateurs. Et il s’étonne de s’y sentir comme un poisson dans l’eau. Pourtant, c’est le genre de mondanité qu’il ne supporte pas Austen. C’est même, la pire chose qu’il hait au monde quand il y pense et qu’il a fui la plupart du temps durant des années. Peut-être que c’était sa façon à lui de faire un pied de nez à tout ça, d’abandonner un peu ce patriarcat qui l’obligeait à rentrer dans un moule, même si, désormais, il n’avait plus réellement le choix. Ou pas le choix tout court, à bien y regarder. Mais finalement, il s’y accoutume, bon gré mal gré, plus facilement qu’il ne le pense.

Lorsque tout le monde part, Austen se retrouve à soupirer. Non pas d’agacement ou de lassitude, mais de fatigue. « Quelle soirée ! » qu’il dit, plus pour lui-même que pour qu’on l’entende, avant de s’apercevoir qu’en effet, il n’est pas seul. Il voit Ms Fischer rester pour l’aider. Il s’en étonne Austen, bien malgré lui, de la trouver encore là. Alors il se dit que peut-être, ce qu’il a entrevu dans ses yeux n’était pas qu’un leurre. L’évidence est bien là. Ce besoin compulsif de remplir et compenser le mal-être par le travail. Cependant, si elle voulait bien se voir, c’est franchement raté. Parce qu’il s’est déjà fait un avis sur elle, avant même de la rencontrer. « Ms Fischer… vous pouvez rentrer vous savez ? Je pourrais très bien le faire tout seul. » qu’il lui fait, amicalement, en s’avançant vers elle, sans la brusquer. Parce qu’il a compris que certains réflexes, certaines attitudes semblait la déranger, la faire pincer des lèvres ou même la mettre mal à l’aise. Il s’y refuse, de la blesser, de quelconque façon que ce soit. « Votre famille doit vous attendre. Allez-y. Il est déjà tard en plus ! » Il n’imagine pas à quel point il a tort et à quel point il peut la briser avec un sous-entendu pareil. Elle est pourtant simple, basique et avenante. Mais il remarque son silence, le fait qu’elle se soit stoppée dans son élan et ça le touche. Sa détresse est si omniprésente qu’elle crèverait les yeux à n’importe qui capable de l’observer. « J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? » Il se mord la lèvre, désolé, parce qu’il ne veut pas qu’elle croit qu’il se moque ou autre, ce n’est pas son genre, encore moins son idée.

Délicatement, il l’arrête dans son geste, sans aucune violence, sans faire preuve de force pour qu’elle le regarde dans les yeux. « Réellement, si vous voulez y aller, vous pouvez. Mais si vous voulez rester, il va falloir me dire pourquoi. » Il est loin d’être dupe. Loin de ne pas voir. Il observe et toute la soirée, son sourire était feint, dénué de sincérité. Sa façon de tenir sa coupe, de laisser ses doigts y pianoter dessus avec nervosité. Non, elle cache forcément une douleur terrible – ou même plusieurs ? Et c’est criant de cruauté. Même pour lui. Même pour sa gentillesse, ébranlée.

Il l’a piqué au vif Austen, il le sait, mais il n’en démord pas. La voir aussi mal, fuir autant, il se doute que ça ne doit pas être facile, que ça doit la ronger même. À son grand étonnement, elle le fait avec une facilité déconcertante, mais qui ne l’effraie pas à lui. Qui ne l’étonne même pas à vrai dire. Cela va avec le personnage et l’idée qu’il s’en est fait. De la vision qu’il avait d’elle avant même de mettre un visage derrière le nom. Et ça l’intrigue d’autant plus. Parce qu’il ne veut pas savoir pour la manipuler, encore moins pour se moquer – qui est-il après tout pour le faire ? Il veut simplement l’aider. Parce qu’elle suinte par tous les pores de ce mal-être. Parce que chaque chose qu’elle fait ou dit, la trahit et il le voit, bien trop. Alors d’un geste de la main, il balaye ce qu’elle lui répond pour le ménage. C’est secondaire, cela n’a que très peu d’importance. Il serait resté jusqu’au lendemain s’il fallait, parce que, de toute façon, c’est ce qu’il fait de mieux, par lui-même. Austen n’a besoin de personne, encore moins de payer qui que ce soit pour faire le boulot à sa place. Il a deux bras et deux jambes fonctionnels, c’est largement suffisant.

En revanche, quand elle essaie de le repousser, il se dit qu’il a visé juste. Que de toute évidence, il y a vraiment quelque chose qui ne va pas, qui transpire en elle et qui ne demande qu’à sortir. Alors Austen, il croise ses bras sur son torse, en admirant à quel point elle essaie de le convaincre, mais surtout de se convaincre elle, que ça va. Il est vrai qu’il n’est que son patron, mais il est aussi et surtout un être humain, une oreille, une épaule, si les gens en éprouvent le besoin. « Mon père ne s’inquiétait pas de ses employés. Sauf pour le travail et leurs jolies courbes pour certaines. » Il rit pour détendre l’atmosphère, pour rendre la conversation un peu plus légère. Elle en a besoin, alors il joue le jeu Austen. « Plus sérieusement. Moi je suis différent. Et j’aimerais voir la personne derrière certains travaux. Je vous l’ai dit, votre force de détermination m’intrigue Ms Fischer et je n’ai pas peur de ce que vous êtes vraiment. » Il penche sa tête sur le côté, avec un sourire et il s’empare du sac poubelle qu’elle a dans ses mains. Il l’oblige à s’asseoir parce qu’il sent la nervosité qui la traverse toute entière. « Être votre patron ne veut pas dire que je ne peux pas vous aider, bien au contraire. Vous n’avez rien à craindre de moi. » Et c’est vrai. S’il y a bien une chose qu’il sait faire Austen, c’est écouter les autres, les apaiser au besoin. « Je ne fais rien sans le consentement des gens. Ce qui me perd parfois, beaucoup. Que cache donc ce côté si compétent ? On ne se plonge pas corps et âme dans le travail de cette façon sans avoir une bonne raison ou sans fuir quelque chose. Je ne suis pas dupe. Je vois très bien. Vous n’avez aucune honte à avoir avec moi. » Même si le geste va lui sembler déplacé, Austen passe son index sous son menton pour relever son visage vers lui. Pour qu’elle le regarde, pour qu’elle y voit toute sa sincérité. Pour qu’elle comprenne qu’il est digne de confiance et qu’il ne veut rien d’autre que l’aider.

Il essaie, encore. Parce qu’elle a besoin de parler. Elle est acide, mais c’est de bonne guerre. Il l’a cherché, il l’a mérité et il accepte volontiers qu’elle l’atomise aussi facilement. Alors, il se lève cette fois, mains dans les poches, prenant de la distance. L’étouffer, même dans son espace vital, il a compris que c’était faire fausse route. Mais elle doute, à raison. Ils ne se connaissent pas. Lui aimerait pourtant apprendre. Il se délecte de la voir agir avec autant de force et de véhémence, avec autant de mépris et de condescendance à le repousser, mais il ne relève pas. Il ne lui en tient absolument pas rigueur. Austen n’en a pas le droit. Il n’est personne pour juger. Même un patron ne devrait pas se permettre de genre des choses. « Je comprends votre scepticisme. Je l’accepte. La gentillesse est une denrée rare, qui se perd. Qui effraie le commun des mortels. Comment pouvez-vous alors juste l’accepter alors que, tout le monde agit par intérêt ? » C’est sans doute pour ça qu’il a préféré se tourner vers l’humanitaire. Vers de vrais gens dans le besoin, dont la sincérité transperce le cœur. Dont la méchanceté des uns a révélé le meilleur de l’autre. Un amour sans faille pour son prochain. « Je suis piètre menteur. Et pour tout vous dire, je vous propose un petit jeu, pendant que l’on range, si vous le voulez bien. » Peut-être que de cette façon elle se laisserait un peu plus aller avec lui, s’il lui promet d’être totalement sincère.

« Je suis désolé, pour commencer, je ne voulais absolument pas vous offensez. Je n'oserai pas même. » Maladroit, parfois, bien malgré lui, mais surtout pour la bonne cause. Chacun est différent. Le passif de chacun l’un. Alors faire amende honorable en s’excusant est un bon début qu’il pense sincèrement. « Et si chacun dit un secret, nous serons à égalité non ? Comme ça, vous verrez que je suis bien trop franc et honnête dans mes intentions envers vous. Je n’ai rien à cacher. Donc, honneur aux dames ! » Il s’empare à son tour d’un sac pour l’aider à jeter des couverts et des assiettes, ainsi que des gobelets… tant de gâchis pour l’environnement. Il en a vu vivre avec moins que ça, moins que ce luxe aberrant et écœurant. « Et pour l’humanitaire, j’aidais les gens dans le besoin, à travers les pays du tiers monde. J’ai vu des choses que vous ne devez pas imaginer. Des gens avec des cœurs purs, qui se satisfaisaient de peu. Qui savaient se réjouir du moindre geste, du moindre sourire. Je ne pouvais pas vivre la vie de mon père parce que j’ai compris bien rapidement que je n’étais pas fait pour ça. » La mort de son père lui a juste rappelé à quel monde il appartient, même si, en dehors de l’entreprise et de la maison qu’il possède non loin du bureau, il a donné le reste de sa fortune à des œuvres caritatives. Le luxe l’étouffe, Austen n’en a pas besoin pour vivre. « J'estime qu'être un bon patron, ce n'est pas seulement apprécié les chiffres... car derrière chaque chiffre se cache un être humain, avec un cœur, une âme. Un chiffre, ça se change, mais un employé, parfois, ça ne se remplace pas. »

Austen la regarde. Ça l’intrigue réellement de la voir être comme elle est là, à tenter de faire semblant alors qu’il est loin, très loin de vouloir être son ennemi. Il voudrait même être tout le contraire. Quand elle parle, il l’écoute. Il enregistre ce qu’elle dit dans l’espoir de l’aider au mieux, s’il le peut. Et quand elle dit le mot mari, il n’y a plus de surprise, l’évidence est là. L’amertume de sa voix laisse place à une sorte de rancœur tacite, presque déchirante et Austen comprend. Peut-être a-t-elle souffert de trahison de la part de ce fameux mari pour le cracher presque autant de mépris ? « L’on a passé l’âge oui, mais les jeux d’enfants sont souvent sans conséquences. J’apprécie leur légèreté. » qu’il dit, tout en haussant les épaules, sans doute parce qu’il le pense. Il le pense vraiment Austen. Il a dû à voir la vie si différemment. Son père vient de mourir et même si ça le blesse, la vie continue, il respire, il est encore là, il a la chance de marcher sur ses deux jambes. Alors il prend ça comme un cadeau d’une certaine façon. « La misère humaine a de multiples visages. On croit être malheureux, vraiment… bon, certes, on l’est, à un certain degré, mais on n’imagine pas à quel point d’autres le sont bien plus encore. Je crois que c’est pour ça que j’ai choisi cette voie-là. Pour ce côté si simple, si agréable. Profiter d’un coucher de soleil à l’autre bout du monde. Accepter le sourire d’un inconnu dans la rue. Tout ça, ceux sont des choses qu’on a oublié, qu’on ne voit plus. » S’il pouvait vivre dans une cabane dans les bois, il est certain qu’il le ferait.

Il rit quand elle insinue qu’il serait réellement un bon gars perdu dans un monde cruel. Il note tout de même la nuance. Celle qu’elle lui donne sans s’en rendre compte. Et il l’apprécie. « J’apprécie votre inquiétude Ms Fischer, mais je pense que, je peux être également un homme coriace. » Il suppose du moins, pas certain que ça ait une quelconque valeur à ses yeux, alors qu’il rit doucement, en secouant la tête. La légèreté de leur discussion est si naturelle, qu’il a l’impression que rien ne peut gâcher ce moment. Sauf qu’elle lui demande pour lui, s’il a été marié. Austen se crispe… le souvenir de Thalie le brise un peu encore. Surtout en sachant son fils avec elle, plutôt qu’avec lui. « Je l’ai été, oui. Je suis divorcé depuis un peu plus d’un an et j’ai un fils, Jack. Il est avec sa mère à Londres. Le fait que je sois ici n’est pas dérangeant en soi. Ça l’était lorsque j’étais à l’autre bout du monde cela dit. » Austen rit mais ce rire n’est pas heureux. Il n’a rien de vivant, rien d’aimant. Il le brise même. Il ne veut pas avoir de regrets Austen et en vérité, ce n’en est pas un. Juste le fait que son fils soit loin de lui, qu’il ne soit pas avec lui. « Pourquoi vous plongez-vous dans le travail Ms Fischer ? Dites-moi. »