first contact (elizabeth)

---

Ça faisait à peine une semaine qu’Emma avait débarqué à Donwell et elle commençait déjà presque à regretter. De toute évidence elle avait sous-estimé le côté paumé du village et elle s’ennuyait déjà. Elle qui avait grandi dans l’agitation de Londres et qui avait constamment besoin d’être entourée et distraite, c’était un vrai cauchemar. Heureusement elle avait commencé le boulot au white horse et que ça réussissait à occuper une partie de ses journées et de ses soirées. Elle n’aurait jamais cru être heureuse de travailler, elle était tombée bien bas. Elle espérait pourtant que ce job ne durerait pas trop longtemps, elle avait commencé à espionner un peu les habitants de ce bled, notamment sa sœur jumelle et sa famille adoptive et elle pensait déjà avoir réussi à trouver des informations assez intéressantes pour les faire chanter. C’en était presque trop facile. C’était peut-être vrai ce qu’on disait, que c’était toujours dans les endroits d’apparence les plus charmantes que les gens étaient les plus pourris de l’intérieur. Elle avait quelques contre-exemples en tête en repensant à Londres mais elle avait tout de même été surprise de la facilité avec laquelle elle avait été capable de déterrer des infos compromettantes sur sa « famille ». Alors aujourd’hui, avant d’aller enfiler son tablier et d’aller servir des bières aux ivrognes du coin, elle avait décidé de faire un petit détour par le quartier des bourges, histoire d’aller saluer la famille quoi. Elle n’avait volontairement fait aucun effort vestimentaire, elle n’allait pas en plus s’amuser à être présentable. Une partie d’elle-même revendiquait ce côté trashy et elle avait hâte de voir la tête des parents adoptifs de sa sœur en la voyant sonner. Et encore plus quand ils allaient apprendre qui elle était et ce qu’elle comptait leur faire payer. C’était environ 50 % du fun. Elle portait donc un mini-jean débraillé – pas le genre qu’on peut acheter tel quel en magasin, non, le genre à avoir été tellement porté qu’il était usé naturellement – et un t-shirt des rolling stones qui devait avoir pas loin de vingt ans et qu’elle avait piqué à sa mère avant de partir de Londres. Pas par sentiment, mais parce qu’elle savait très bien que ça la ferait chier et ça aussi, c’était une partie du fun. Elle avait sonné après avoir vérifié l’adresse, s’attendant à moitié à ce que ce soit sa sœur qui lui ouvre. Elle fut presque soulagée en voyant la mère de cette dernière lui ouvrir la porte, l’air clairement surprise. Elle ne devait pas en recevoir tous les jours des visites comme ça. Emma lui lança son sourire le plus hypocrite. « Bonjour, je peux rentrer ? » Demanda-t-elle sans la moindre gêne. La mère d’Elizabeth parut désarçonnée par le cran dont faisait preuve Emma et elle eut un geste de recul malgré elle. « Euh, non. Je peux savoir qui vous êtes ? » Son ton était devenu plus autoritaire au fur et à mesure qu’elle reprenait contenance. « La sœur de votre chère Elizabeth. Vous savez ? Celle que vous avez refusé d’adopter ? Emma, enchantée. » Expliqua-t-elle comme si elle n’avait pas vu les couleurs disparaître aussitôt du visage de la femme se tenant devant elle. Non, elle voulait juste en rajouter, et elle avait toujours eu une affinité pour le drame. Elle aurait pu faire du théâtre tiens, enfin si elle avait eu la patience d’apprendre des répliques par cœur. « Je fais comme chez moi, ça vous dérange ? » Demanda-t-elle avant de se faufiler à l’intérieur, sans attendre de réponse et sans laisser le temps à son interlocutrice de réagir. Cette dernière ferma la porte après avoir vérifié que personne ne l’avait vue rentrer – un geste qu’Emma ne rata pas bien sûr, c’était bon signe ! La mère d’Elizabeth appela son mari, et à sa voix presque tremblante la jeune femme comprit aussitôt qu’elle avait visé dans le mille. Comme quoi ça marchait de faire des recherches. Elle alla s’asseoir sur le canapé, faisant effectivement comme chez elle. Après tout, ça aurait du être sa maison, non ? Une fois le mari descendu elle commença à leur exposer exactement ce qu’elle savait sur la façon dont s’était passé l’adoption de sa sœur et d’elle, insistant bien sur le moment où ils avaient été contactés avec l’opportunité de l’adopter elle aussi mais qu’ils avaient préféré la laisser en foyer le temps qu’une autre famille ne se présente. Elle avait été sur le point de leur expliquer exactement combien allait leur coûter son silence quand elle entendit la porte d’entrée s’ouvrir à nouveau. « Ah ! Mais qui voilà ? » Elle se doutait que ça ne pouvait être qu’Elizabeth, de ce qu’elle avait vu elle vivait encore ici. Pathétique à son âge, mais quelque part elle lui enviait sa chance. Elle lança un grand sourire à la nouvelle venue quand elle arriva dans le salon.

---

Si Emma avait ressenti la moindre culpabilité à venir extorquer la famille de sa sœur jumelle, elle se serait aussitôt évaporée face à l’attitude de la jumelle en question. Elle l’avait suivie et étudiée cette dernière semaine, et sans vouloir se vanter, Emma était du genre observatrice. Elle avait du le devenir par la force des choses, alors son attitude n’était pas une vraie surprise pour elle. Elle devait cependant avouer que c’était autre chose de l’avoir en face d’elle et elle était en train de se demander si elle aurait pu se montrer un peu plus hautaine encore. Oh oui, elle allait apprécier le fait de soutirer de l’argent à toute cette famille et la façon dont Elizabeth l’avait accueillie ne faisait que la conforter dans son idée de départ. Elle ne manqua pas la réaction de sa sœur adorée, et la façon dont elle avait vite perdu son sourire provocateur en voyant l’expression presque apeurée sur le visage de sa mère. Cette constatation arracha un sourire moqueur à la jeune femme qui attendait patiemment sur le canapé, profitant du spectacle qui s’offrait à elle. Elle n’avait fait que rêver de ce moment depuis qu’elle avait appris l’existence de sa sœur, pas forcément dans ces circonstances bien sûr. Pendant quelques temps elle avait été contente de se découvrir de la famille, mais quand elle avait compris le genre de personne qu’Elizabeth était devenue – son opposé en somme – ses rêves avaient pris une tournure plus… malsaine. Les insultes gratuites qu’elle lui lançaient par l’intermédiaire de sa mère adoptive ne faisaient que faire sourire Emma, au moins elle ne s’était pas trompée sur le caractère de la demoiselle. Ça ne ferait que rendre son petit jeu encore plus amusant. « Oh, Lizzie. » Répéta Emma, moquant le ton employé par la mère de la jeune femme. Elle n’avait pas pu s’en empêcher et elle ne voyait pas en quoi faire semblant d’être gentille lui apporterait quoique ce soit. Pour que son plan fonctionne tout ce dont elle avait besoin c’était qu’Elizabeth n’apprenne pas accidentellement les circonstances de son adoption, pour l’instant vu la réaction des parents ça semblait bien parti. Et que les parents n’apprennent pas que leur petite fille adorée couchait avec un homme marié, jusque là aucun problème non plus, et si Emma ne comptait pas gaspiller ses moyens de pression elle n’avait pas non plus envie de faire d’effort pour se faire apprécier de sa « famille ». Elle n’était pas là pour se faire des amis, elle était là pour se faire de la tune. « Vous voulez lui dire ou je le fais ? » Demanda-t-elle, son petit sourire malicieux toujours placardé aux lèvres. Elle ne pouvait pas s’en empêcher, c’était jouissif, et elle voulait faire durer un peu le suspens, jouer avec les nerfs de sa sœur. C’était sa petite vengeance personnelle, ou en tout cas c’en était le début. Elle se leva du canapé, sans chercher à faire preuve de la moindre grâce, au contraire, ça n’en serait que plus douloureux pour Elizabeth. Elle haussa les épaules en se tournant vers les parents de cette dernière, comme pour voir s’ils allaient oser lui annoncer la nouvelle. De toute évidence, non. Elle reporta alors son regard sur sa sœur, se rapprochant d’elle sans la moindre hésitation. Elle pouvait sentir les vieux derrière se tendre rien que de la voir se diriger vers leur précieuse fille. Quels bouffons, elle n’allait pas la mordre. « Je suis ta sœur jumelle. » Annonça-t-elle sans le moindre préambule, un grand sourire provocateur aux lèvres, ne cherchant pas à cacher à quel point elle aimait ce qui était en train de se dérouler. Elle ouvrit grand les bras, faisant mine de vouloir lui faire un câlin. « Surprise ! » Ajouta-t-elle d’un ton exagérément joyeux, comme si c’était la meilleure nouvelle qu’elle aurait pu annoncer à Elizabeth, comme si elle ne pouvait pas voir le dégoût que son apparence provoquait chez elle.

---

La réaction de sa sœur avait été magnifique, exactement ce à quoi elle s’était attendue. Elle qui avait commencé à taper nerveusement du pied comme pour signifier son agacement et son impatience, elle s’était arrêté d’un coup en entendant le lien de parenté qu’elles avaient. C’en était presque trop drôle et Emma avait du mal à garder son sérieux. Elle avait envie d’exploser de rire, mais ça l’aurait empêché de profiter vraiment du moment. Sans compter que si se faire apprécier de sa nouvelle famille ne faisait pas partie du plan, se la mettre complètement à dos en les braquant n’en faisait pas non plus partie. Il y avait une ligne à ne pas dépasser selon elle, mais elle pensait savoir à peu près où elle se trouvait, elle se permettait donc sans gêne de montrer son amusement sans penser prendre de vrai risque. Et puis ils n’allaient quand même pas retourner ça contre elle, elle n’avait rien fait dans l’histoire ! Enfin si on oubliait le chantage, bien sûr, mais son petit doigt lui disait que les parents d’Elizabeth ne voudraient pas lui en parler de sitôt. Elle ne fit que sourire en l’entendant répliquer, elle était dans le déni, ça aussi c’était prévu. Elle n’en rajouta pas, décidant que ce serait plus drôle de la voir péter un câble toute seule, passer du mépris, au doute puis à la déception. Oh oui, elle avait hâte d’en arriver à la phase déception. Elle profitait tellement du moment qu’elle ne râla même pas quand sa sœur la bouscula pour aller tenter de secouer ses parents, elle se retint aussi de lui expliquer que ça ne servait à rien de leur demander de nier, que ça aurait été mentir. Elle allait bien finir par le réaliser d’elle-même. Poings serrés, elle commençait tout doucement à se rendre compte qu’Emma avait dit la vérité, outch, ça devait faire mal à l’égo ça ! « Et si c’est vrai. » Lança-t-elle d’un ton beaucoup trop enjoué au vu de la situation. C’était sorti tout seul, elle qui s’était promis de ne pas en rajouter et de simplement profiter du spectacle, elle n’avait pas pu se retenir. Tant pis. Elle se rapprocha de sa sœur ainsi que de sa mère adoptive et vint poser sa main sur l’épaule de la jeune femme, faisant semblant de compatir tout en sachant très bien qu’elle risquait de ne pas apprécier ce contact. Elle aurait sûrement peur de choper une maladie, coincée comme elle semblait être. « Tu devrais être contente, la famille s’agrandit ! » Ajouta-t-elle joyeusement, comme si elle était réellement persuadée que son existence était la meilleure nouvelle qu’Elizabeth aurait pu recevoir aujourd’hui. Son engouement faisait tâche à côté de la honte affichée par les parents et de l’incrédulité visible sur le visage de sa sœur jumelle, mais c’était ça qui amusait Emma. S’ils avaient été heureux de la rencontrer elle se serait sentie obligée de faire la gueule, elle aimait peut-être trop se démarquer. « On va pouvoir se faire des soirées pyjama, se tresser les cheveux en parlant de garçons. » Lança-t-elle d’un ton moqueur, n’ayant pas le moindre doute sur le fait que c’était exactement le genre d’activité qu’Elizabeth avait du faire dans cette maison de bourge quand elle était gamine. Ado même peut-être. Emma ne savait pas quand les filles étaient censées aimer faire ce genre de trucs, elle n’avait jamais eu l’occasion de les vivre. « T’as pas toujours rêvé d’avoir une sœur ? Ou alors tu l’imaginais pas comme… Comment t’as dit déjà ? Une droguée des environs ? » Sa remarque ne l’avait pas vexée, elle savait de quoi elle avait l’air, au contraire, elle en était fière. Tout ce qui pouvait lui permettre de se différencier de sa sœur elle allait continuer à le faire, et avec plaisir. Mais maintenant qu’Elizabeth savait qu’elles étaient jumelles, peut-être qu’elle regretterait les mots qu'elle avait choisi d'employer.

---

Elizabeth semblait faire tout ce qu’elle pouvait pour l’ignorer, ça ne surprenait pas franchement Emma. Elle s’était doutée que la pilule ne passerait pas, encore une des raisons pour lesquelles elle avait attendu ce jour avec autant d’impatience. Pendant que la jeune femme semblait tenter de battre sa mère à un concours de regard Emma ne put s’empêcher d’examiner un peu plus les lieux. On aurait dit un palace comparé à l’endroit où elle avait grandi, sans compter qu’ils avaient été un peu plus nombreux que trois. Ils avaient beaucoup trop d’espace ici, ils ne devaient jamais se parler. Remarque pour des gens aussi guindés ça avait du être le paradis. Ils avaient probablement engagé une nounou pour changer les couches et eux n’avaient gardé que les moments les plus fun, les jeux dans le parc et autres conneries que les gens prenaient en photo pour les poster sur instagram et faire croire à leurs amis qu'ils menaient une vie de rêve. Elle détestait ses parents, ils ne l’avaient adoptéé que pour recevoir leur putain de chèque tous les mois, mais eux, ils avaient probablement adopté Elizabeth tout comme ils auraient pu acheter une poupée. Si elle n’avait pas été aussi insupportable elle lui aurait presque fait de la peine. Elle avait commencé à faire un peu de repérage sur ce qui pouvait se trouver à l’étage – faisant ce qu’elle pouvait de là où elle était et sans trop attirer l’attention, elle avait tout de même remarqué que les fenêtres ne semblaient pas très sécurisées, intéressant – quand elle sentit Elizabeth écarter sa main d’un geste de l’épaule. Elle se força à retourner son attention sur le drame qui semblait se jouer devant elle. Les insultes de miss bcbg ne l’atteignaient pas, elle s’était bien rendue compte qu’elle n’avait pas rêvé d’elle comme sœur, très franchement la réciproque était vraie, mais Emma se rassurait en se disant qu’elle au moins elle réussirait à en tirer quelque chose. Elle commençait par contre à sentir que les parents avaient envie de faire leur mea culpa, elle avait trop peur qu’ils n’avouent tout tout de suite, elle aurait perdu son moyen de pression, elle ramena donc volontairement l’attention sur elle. « Pourquoi je mentirais ? J’avais jamais mis les pieds ici, je suis juste là parce que je suis allée fouiner. C’est ce que je fais de mieux. » Ajouta-t-elle avec un petit regard malicieux lancé à la dérobée aux parents d’Elizabeth. Oui, son plus grand talent c’était ça, de déterrer des informations compromettantes. Ça et le sexe, c’était souvent son gagne pain après tout. « Ma cible ? » Répéta-t-elle avant de porter sa main à son cœur, faussement outrée. « Je sais pas pour qui tu me prends au juste mais je suis juste venue pour voir à quoi ressemblait la famille que j’aurais pu avoir, rien de plus. » Mentit-elle, réussissant presque à se convaincre elle-même que c’était la vérité. Elle avait tellement l’habitude de mentir que c’était devenu une seconde nature chez elle, il lui arrivait même parfois de ne plus savoir séparer le vrai du faux. « Mais j’ai l’impression que ça heurte ton égo de voir ce que tu aurais pu devenir si tu n’avais pas eu papa et maman pour tout t’offrir sur un plateau d’argent. » Elle avait légèrement penché la tête sur le côté, soutenant le regard de sa sœur sans le moindre mal et forçant une fausse moue compatissante sur ses lèvres. Oui, c’était triste, snif, snif. La pauvre petite bourge ne supportait pas l’idée d’avoir une sœur jumelle qui n’était pas aussi classe qu’elle. Elle avait vraiment du avoir une vie difficile si ce simple détail réussissait autant à la perturber. Elle se força pourtant à se calmer un peu sur le jeu d’actrice et la provocation, si elle ne voulait pas braquer les vieux et les encourager à tout déballer à leur fille, il ne fallait pas non plus qu’elle se comporte comme une connasse finie. Elle ne devait pas se présenter comme l’ennemie mais la victime, au même titre qu’Elizabeth en soi. Elle se força donc à reprendre un ton sérieux – bon dieu que c’était dur – et mit le plus de fausse sincérité possible dans ce qu’elle finit par dire. « J’étais curieuse de voir à quoi tu ressemblais. A quoi ta vie ressemblait. C’est la seule raison de ma présence, mais apparemment j’ai eu tort de venir. » L’amertume dans sa voix en finissant sa phrase par contre, elle n’avait presque pas eu besoin de la feindre.

---

Emma la regarda aller se servir un grand verre de whisky, se retenant au dernier moment de lui demander de lui en servir un aussi. Elle avait comme la sensation qu’Elizabeth aurait refusé, et encore une fois, elle était en train d’essayer de baisser légèrement le niveau de provocation pour ne pas trop la braquer. Il fallait qu’elle concentre sa colère contre ses parents si elle le voulait, mais pas sur elle. Elle se contenta de lever les yeux au ciel en entendant la réplique de la jeune femme, tout ce qui la surprenait dans ce qu’elle venait de dire c’était le fait qu’elle dise qu’elle avait vus les Harry Potter au lieu de les avoir lus. Elle se serait attendu à ce que madame pompeuse ne rate pas l’occasion de se vanter d’être une grande lectrice. Un petit sourire vint étirer ses lèvres en voyant le regard qu’elle lança à sa mère, qui se tut aussitôt, comme frappée. L’ambiance était tendue ou bien c’était juste elle ? Elle ouvrit même légèrement la bouche en voyant sa sœur mimer des guillemets autour du mot « maman », ça c’était un coup bas. Dommage, Emma commençait à se dire que si elles s’étaient connues avant, ou dans d’autres circonstances, elle aurait presque pu l’apprécier. Elle commençait à aimer son petit côté peste, c’était amusant en tout cas, et la voir insulter sa propre mère de façon aussi mesquine, ça l’était encore plus. Ah, elle voulait des explications, savoir exactement comment elles avaient pu se retrouver dans ce genre de situation, une question que la jeune femme s’était elle-même posée il y a quelques semaines, en apprenant l’existence de cette fameuse sœur jumelle. C’était justement parce qu’elle avait fait l’effort de se renseigner qu’elle s’était retrouvée dans ce coin perdu. « Emma. Caldwell. » Répondit-elle, faisant un effort pour ne pas rajouter de fioriture, oui, c’était sobre, elle pouvait sentir qu’Elizabeth rejetait sa colère sur ses parents et c’était de ça dont elle avait besoin. Ça ne pourrait que l’aider pour la suite, parce qu’elle s’apprêtait à venir à leur rescousse. « Si je peux me permettre... » Lança-t-elle pour signaler qu’elle comptait prendre la parole, elle ne voulait pas que les parents d’Elizabeth s’emmêlent les pinceaux en allant inventer des histoires. Elle savait exactement ce qui s’était passé et elle savait aussi comment expliquer qu’ils étaient innocents dans l’histoire. Un mensonge, certes, mais si elle racontait la vérité elle s’enlevait directement un moyen de pression. Non, elle allait leur montrer qu’elle allait garder leur petit secret. Elle se tourna vers Emma, se forçant à reprendre un air au moins un tant soit peu sérieux. « Je suis allée fouiner, comme je disais, en apprenant que tu… bah que tu existais. » Elle haussa les épaules. « C’est mes parents qui ont merdé sur ce coup là. » Expliqua-t-elle, sans chercher à mâcher ses mots ou à prendre des pincettes. Elle n’avait pas non plus l’intention de faire attention à son langage juste parce qu’elle se retrouvait soudainement entourée de bourges. Il fallait pas non plus trop lui en demander. « J’ai été adoptée en premier, et mes parents bah ils avaient pas assez de tune pour t’adopter aussi, eux ils voulaient juste recevoir la compensation de l’État de toute façon, donc tu leur servais à rien. » Lança-t-elle en toute sincérité, se demandant si cette explication allait aider à redorer le blason des parents d’Elizabeth. En comparaison des siens ils allaient passer pour des anges, tiens. Elle alla s’asseoir sur l’accoudoir du canapé, faisant un geste en directement des parents d’Elizabeth avant de reporter son attention sur elle. « Ils pouvaient rien y faire eux, ils sont arrivés après. » C’était vrai, ils étaient arrivés après, bien sûr, elle se garderait bien de dire qu’ils avaient tout de même eu l’opportunité de l’adopter, il y avait eu plusieurs semaines où Emma avait été replacée en foyer d’accueil, ses parents avaient perdu leur droit de garde pendant un petit laps de temps avant de la récupérer. Et les parents d’Elizabeth avaient été notifiés, les services sociaux jugeant que ça aurait été une bonne occasion de réunir les jumelles. Ils avaient refusé, mais ça, Emma comptait bien faire en sorte que ça reste entre eux. Tant que personne ne saurait elle, elle pourrait se remplir les poches. Elle se tourna vers eux, comme pour chercher leur approbation. S'ils avaient quelque chose à rajouter pour consolider son histoire, c'était le moment.

---

A priori Emma avait visé juste avec son histoire, en tout cas les parents d’Elizabeth semblaient soulagés d’avoir entendu ça à la place de la vérité. Ce n’était clairement pas le cas de la jeune femme mais bon, elle finirait bien par s’en remettre. Elle faisait un caprice, comme l’enfant qu’elle était encore probablement. Après quelques jours elle se serait calmée et là elle serait plus abordable. Emma avait choisi de la laisser digérer un peu avant de venir la faire chanter, c’était mieux si elle n’était pas encore en rogne, sinon elle allait se braquer encore plus et elle serait foutue de faire une connerie. Comme oser assumer ses petits rendez-vous secrets avec son professeur, et ça, c’était pas du tout ce qu’Emma voulait. Non, c’était mieux d’attendre un peu, elle n’allait pas tarder à s’en aller. Elle avait dit ce qu’elle avait à dire aux deux vieux, elle avait fait la connaissance d’Emma et maintenant il fallait juste laisser mijoter quelques jours. Elle reviendrait après pour parler chiffre avec les parents d’Elizabeth et elle aborderait sa sœur ailleurs pour lui dire qu’elle connaissait son petit secret de « rebelle » et que son silence avait un prix. Pour l’instant, tout se passait bien. Elizabeth semblait totalement rejeter la faute sur ses parents et non sur elle, c’était normal, et Emma était sûre que ça irait mieux d’ici quelques jours. De toute façon elle avait fait ce qu’elle avait à faire, elle avait camouflé la vérité auprès de sa sœur, elle avait tenu sa part du marché auprès de ses parents. Si Elizabeth avait envie de se passer les nerfs sur eux, elle en avait le droit, au moins c’était distrayant. Elle réprima un sourire en coin en voyant les parents de la jeune femme essayer de se justifier, elle les haïssait probablement encore plus que leur fille, et maintenant qu’elle avait produit une histoire qui ne les incriminait pas trop, elle n’allait pas non plus lever le petit doigt pour continuer à les défendre. Ce n’était plus son problème, elle elle était juste là pour menacer leur réputation, elle n’avait jamais dit qu’elle pourrait arranger leur relation avec Elizabeth. Elle doutait d’en être capable de toute façon, ça sentait des années et des années de rancœur, pas le genre de truc dont elle voulait se mêler. Elle voulait faire semblant d’être vexée en entendant la dernière marque de sa sœur mais l’expression coupable sur les visages de ses parents lui en coupa aussitôt l’envie. Apparemment c’était un peu ce qu’ils s’étaient dit à l’époque et elle recommençait à avoir la rage qu’ils n’aient pas fait le moindre effort pour au moins la contacter. Bref, ce n’était pas pour ça qu’elle était là. S’énerver contre eux ne servirait plus à rien, elle n’allait pas rattraper le temps perdu maintenant, et se les mettre à dos ne feraient que bousiller ses chances de voir un jour l’argent. « C’est fait, c’est fait. » Lâcha-t-elle, faussement philosophique et magnanime. Comme si elle leur avait déjà pardonné de son côté et que Lizzie devrait en faire de même. Bien sûr c’était complètement faux, elle les détestait autant qu’elle détestait ses propres parents, peut-être même plus à cause de tout ce qu’ils représentaient, de tout ce dont ils l’avaient privé sans la moindre raison valable à ses yeux. Ils ne lui feraient jamais croire qu’ils n’avaient pas eu assez d’argent pour s’occuper d’elle aussi. Elle s’efforça pourtant de garder son calme. Elle sortit son téléphone portable de sa poche avant de taper son propre numéro dessus. Elle le tendit à Elizabeth. « Mon numéro, si jamais t’as envie d’en apprendre plus sur ta sœur à la mauvaise réputation. » Elle n’était pas sûre qu’elle allait le noter, de toute façon elle avait d’autres façons de la retrouver si ce n’était pas le cas. Elle avait fini par mémoriser son emploi du temps par cœur à force de la suivre partout. « Je vais vous laisser discuter. » Elle lança un regard appuyé aux parents d’Elizabeth, comme pour leur faire comprendre qu’elle était loin d’en avoir fini avec eux. Oh non, elle reviendrait, d’ici quelques jours, pour discuter des détails.

---

Emma ne pouvait s’empêcher d’être surprise que sa sœur ait vraiment noté son numéro, elle se serait attendue à ce qu’elle l’envoie directement chier. Tant mieux, elle avait peut-être fait un peu meilleure impression que ce à quoi elle s’était attendu, et ainsi elle n’avait plus qu’à attendre qu’Elizabeth la contacte. Comme ça elle serait sûre qu’elle aurait eu le temps de se calmer, c’était parfait, elle ne risquait pas de venir l’emmerder trop tôt et de tout faire foirer. Elle se mordit même la lèvre en la voyant envoyer paître ses parents, leur voler une bouteille de whisky, et filer dans sa chambre, se retenant difficilement de rire. C’était un vrai caprice d’adolescente ça, d’adolescente à qui on avait jamais su imposer de limites en tout cas. Emma trouvait ça drôle, elle la laissa partir sans rien dire, attendant d’avoir entendue claquer la porte de la chambre en haut pour se rapprocher à nouveau des parents d’Elizabeth. « Je vais vous laisser le temps de vous remettre de vos émotions. » Lança-t-elle, sans faux semblant désormais, sans feindre l’empathie ou la sincérité. Ce n’était plus la peine, Elizabeth était partie. « Vous avez vu ? Je peux garder votre petit secret, enfin du moment qu’on réussit à s’entendre sur un prix. » Elle glissa son vieux téléphone dans l’une des poches de son short en jean avant de se diriger à son tour vers le buffet et d’en sortir elle aussi une bouteille encore neuve de whisky. « Je fais comme chez moi, hein. » Ce n’était pas une question, mais bien une affirmation. Elizabeth n’était pas si bête que ça après tout, elle lui avait donné l’idée. Ce n’était pas comme s’ils allaient pouvoir dire quoique ce soit, et comme elle venait tout juste de commencer le boulot au white horse elle n’osait pas encore voler les bouteilles d’alcool dans la réserve. En attendant elle se servirait ici. « Je repasserai dans la semaine pour vous donner mon tarif. » Là encore il n’y avait pas la moindre équivoque, c’était elle qui faisait la loi et elle qui allait dicter les conditions dans cet échange de bon procédés. Elle leur lança un grand sourire avant de sortir de la maison. Oui, elle pouvait le sentir, aujourd’hui serait une bonne journée.