i'm losing sleep, over the secrets that you keep (leya + joanne)

Joanne avait bien essayé d’expliquer à George qu’elle n’avait pas très envie d’aller manger au pub ce dimanche midi, mais il avait été impossible de le convaincre. Il en avait marre de manger des plats tout prêts ou de devoir demander à ses parents de lui amener de quoi manger. Joanne avait essayé de cuisiner plusieurs fois, mais il fallait bien admettre que ses tentatives n’avaient pas été couronnées de succès, loin de là. L’idée qu’il puisse lui même cuisiner ne lui était sans doute jamais venu à l’idée, et Joanne n’était pas assez folle pour oser aborder le sujet. Ça faisait partie des discussions qui tournaient mal en général, même si Joanne commençait à avoir du mal à se souvenir de discussions qui se passaient bien entre eux ces derniers temps. Elles finissaient toutes en dispute, en cris, et parfois, quand elle n’était pas assez prudente, en bleus. Elle n’avait donc pas trop insisté quand George lui avait dit qu’il tenait à aller manger au White Horse ce midi, et elle s’était résolu à devoir commander encore la même salade que d’habitude, trop chère pour ce que c’était, mais de loin l’option la plus saine du menu. George commanderait son burger au bacon, avec une pinte. Pour Joanne, il ne restait plus qu’à espérer que son mari s’arrête à un verre et qu’ils puissent rentrer chez eux sans attirer l’attention.

”Hé bah, qu’est-ce que tu as à faire la gueule déjà ?” George s’était penché vers elle pour que leurs voisins ne puissent pas l’entendre, mais son ton était assez sec pour forcer Joanne à se redresser sur sa chaise. George avait déjà bien entamé sa première pinte, et elle craignait qu’il n’en commande une deuxième avec son plat. Il tenait plutôt bien l’alcool, boire deux bières n’était donc pas un problème. Non, le problème c’était qu’après deux bières il arrivait de moins en moins à arrêter de boire. Et à partir de la troisième, il avait du mal à se maîtriser. Elle avait eu le temps de l’observer ces derniers mois, de définir ses seuils avec l’alcool. Elle espérait juste ne pas avoir besoin de l’empêcher de commander la bière de trop ce midi. ”Rien du tout, je réfléchissais juste à ce que j’allais commander.” George secoua la tête en levant les yeux au ciel, un geste que Joanne avait vu si fréquemment ces derniers mois qu’elle commençait à penser que c’était son expression naturelle. Cette expression, c’était sa manière de dire qu’il en avait bien du courage pour la supporter. Ça lui donnait envie de crier, mais elle se tut. Elle se tourna vers le comptoir et aperçut la même barmaid que d’habitude, Leya, en train de servir des pintes aux habitués. Elle espérait qu’ils allaient pouvoir commander bientôt. Le meilleur moyen d’éviter que George ne boive trop, c’était encore qu’ils ne restent pas trop longtemps au pub. Leya avait commencé à faire le tour des tables pour débarrasser les verres vides quand George leva son menu avant de l’agiter dans les airs. ”Hé oh, on peut commander ici ?” Joanne se sentit rougir et observa la réaction de la jeune barmaid, espérant juste qu’elle ne s’énerverait pas. Cela ne ferait qu'aggraver la situation, et ce serait sans doute Joanne qui le paierait plus tard.

Joanne sentit les problèmes arriver avant même que la serveuse n’arrive à leur table. Il y avait quelque chose dans son regard. Quelque chose qui fit rapidement comprendre à Joanne que la petite n’allait pas se laisser impressionner si facilement, et qu’elle n’allait pas se confondre en excuses devant son mari, comme la majorité des habitants de Donwell auraient pu le faire. Tout seul, George n’avait pas vraiment de pouvoir, et sa stature n’en imposait pas assez pour qu’on le respecte instinctivement, mais à Donwell tout le monde savait qui était son père. Et ça, on le respectait. Joanne regarda la barmaid approcher de leur table en priant pour qu’elle reste polie, même si elle aurait du mal à la blâmer de s’agacer un peu. Quand elle travaillait dans un pub à Londres, Joanne avait eu affaire à de sacrés idiots, et elle ne s’était jamais gênée pour les envoyer balader. Elle espérait juste que la jeune fille allait réussir à se retenir, elle. "Je vous écoute"

Joanne se raidit sur sa chaise en attendant la réaction de George. Heureusement pour elle, la barmaid avait réussi à masquer ses pensées en gardant un minimum de politesse. Joanne n’était pas dupe, mais George ne parut pas s’en préoccuper outre mesure. Il tendit leurs deux cartes à la jeune fille avec un sourire en coin. ”Dis donc, vous êtes plus efficace d’habitude. On a le temps de mourir de faim avant de pouvoir commander ici.” Joanne se tourna vers la serveuse pour lui lancer un petit sourire qu’elle voulait rassurant, mais qu’elle sentait crispée. Être en public avec George était un véritable numéro d’équilibriste. Il fallait réussir à donner le change aux autres, mais sans lui donner l’impression qu’elle se moquait de lui, ou qu’elle le contredisait. Pas évident tous les jours. Elle s’éclaircit la gorge pour attirer l’attention de la jeune femme. ”Est-ce que je peux vous prendre une salade niçoise s’il-vous-plaît ?” George leva les yeux au ciel en ricanant. La blague. Il allait faire la blague, comme à chaque fois. ”Hé oui, c’est moi qui gagne l’argent, il faut bien que Madame s’entretienne un peu. Un double bacon, avec une autre pinte.”

Joanne serra les dents et détourna le regard en entendant la blague de son mari. Il avait beau la faire régulièrement, elle n’en devenait pas plus facile à digérer pour autant. La première fois, elle avait répondu en rigolant qu’elle aimerait bien travailler, mais son regard l’avait rapidement fait taire. Ça avait été une de leurs premières vraies disputes, avec les insultes, les cris, les larmes. Et puis les retrouvailles. Au début de leur relation, ils se retrouvaient encore après une dispute, aujourd’hui George venait la voir et faisait comme si de rien n’était, et elle, elle faisait pareil, par peur de lancer une nouvelle dispute. ”Ils ont intérêt à se dépêcher. C’est pas tout ça mais j’ai soif moi.” Le sourire de George lui donna envie de le frapper, mais elle força un sourire crispé avant de remettre une mèche de cheveux derrière son oreille. ”Je suis sûre qu’ils apporteront à boire bientôt.” George termina sa pinte avant de se laisser tomber contre le dossier de sa chaise, sans se donner la peine de lui répondre. Non pas qu’elle ait envie de lancer la discussion.

Elle concentra son attention en direction du comptoir, et des cuisines qui se trouvaient derrière. Elle aperçut leur serveuse en discussion avec un homme qu’elle supposait être son patron. Elle ne pouvait pas être certaine du sujet de leur discussion, mais ça ne semblait pas être une bonne nouvelle. Et une mauvaise nouvelle dans la manière dont leur repas sous-entendait une mauvaise nouvelle pour elle quand ils allaient rentrer. C’était souvent comme ça que ça se passait. Parfois elle avait l’impression d’être devenue son défouloir, son hobbie. Il avait besoin de passer du temps avec elle pour se remettre des déceptions de la journée, sauf qu’au lieu de discuter, ils se disputaient. Ou pire. Elle ne put pas s’empêcher de se redresser dans sa chaise en voyant la barmaid approcher leur table. Elle ne s’était pas trompée. Elle attrapa la carte des boissons comme par réflexe, sans l’ouvrir, les yeux rivés sur son mari. Il n’était pas assez ivre pour vraiment s’énerver ou commencer à devenir insultant, mais s’ils n’apportaient pas le repas avant qu’il ne finisse sa deuxième bar, ça devenait une option. ”C’est bien le minimum que vous puissiez faire, oui. J’ose imaginer que vous savez qui je suis ?” Joanne ouvrit le menu au hasard et pointa une boisson du doigt sans vérifier ce que c’était. ”Je vais prendre ça, s’il-vous-plaît.” Joanne n’était sans doute pas très courageuse, mais ses années en tant que barmaid à Londres lui avaient appris à défendre les serveurs et serveuses contre les clients qui se comportaient mal. Malheureusement pour elle, il se trouvait que ce client, c’était souvent son mari. Et c’était bien la dernière personne contre qui elle avait envie de se battre. C’était toujours lui qui gagnait. ”George, je suis sûre qu’elle fera de son mieux pour apporter le déjeuner au plus tôt.”

Joanne ferma les yeux en entendant la serveuse commencer à s’énerver contre son mari. Non pas qu’elle puisse véritablement la blâmer. Elle aussi, elle en avait connu des clients un peu cons, et très désagréables. Et elle non plus, elle n’avait jamais vraiment su garder ses nerfs. Non, la maîtrise d’elle même, c’était plutôt une qualité qu’elle avait apprise après avoir épousé George. Il fallait dire qu’elle n’avait pas vraiment eu le choix. Joanne laissa la jeune femme partir en direction du bar pour lui ramener sa boisson, sans oser regarder l’expression sur le visage de son mari. Même sans se tourner vers lui elle pouvait sentir son agacement. Il ne supportait pas qu’on se moque de lui ou qu’on le prenne de haut. Surtout pas en public. Il n’oserait jamais s’attaquer à une inconnue, encore moins alors que tout le monde pouvait le voir, mais il trouverait un moyen de se défouler plus tard, surement sur elle. Elle en avait l’habitude, elle pouvait le sentir venir si fort qu’elle en avait presque déjà peur, déjà mal.

Joanne chercha la jeune serveuse du regard, sans trop savoir pourquoi. Peut-être voulait-elle la rassurer, ou bien se rassurer elle-même. Se convaincre qu’il était possible de se défendre face à quelqu’un comme son mari. Mais il était facile de se défendre quand la personne en face ne pouvait pas riposter, pas violemment en tout cas. Elle, elle n’avait pas ce luxe. La jeune femme se hâta en cuisine, et Joanne essaya d’attraper de nouveau son regard pour la remercier, mais en vain. Un mouvement sur la table attira son attention et elle se tourna pour voir George en train de boire le cocktail que la barmaid lui avait apportée. Il avait déjà terminé sa bière. ”Hm, tu es sur que tu veux boire ça ? Tu ne préfères pas une bière ? Je peux aller t’en chercher une si tu veux.” George but une gorgée de cocktail avant de se mettre à rigoler à voix basse. ”Je peux bien boire ce que je veux, non ? Tu n’es pas ma mère, si ?” La gorge sèche, Joanne se contenta de secouer la tête en le regardant descendre le cocktail qui avait été apporté pour elle. Elle ne l’aurait sans doute pas bu, mais il aurait été préférable que George ne le fasse pas non plus. Les mélanges d’alcool ne lui réussissaient pas, et les bières précédentes l’avaient déjà rendu assez ivre. Ce cocktail, ce serait le verre de trop, elle pouvait presque le sentir, le voir dans les muscles de son visage, dans le regard qu’il lui lançait. Plus il buvait et moins il arrivait à masquer cette haine qu’il gardait normalement pour leurs moments privés. Et il la laissait seule pour gérer la situation, pour cacher leur petit secret, alors qu’elle n’avait qu’une envie, le crier sur les toits. Mais pour ça, il aurait fallu plus de courage qu’elle n’en avait.

La barmaid apporta leurs plats et les posa sur la table. Joanne tenta d’attraper le regard de son mari, mais il était déjà concentré sur la serveuse. ”Bien sur que l’attente a été longue, vous le savez très bien.” Il commençait à mâcher ses mots, une habitude qu’il avait quand il commençait à avoir un peu trop bu. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne dise ou qu’il ne fasse quelque chose qui pourrait les mettre tous les deux dans l’embarras. ”George, je pense qu’on devrait manger. Ton burger va refroidir.” Son mari laissa retomber son poing sur la table, la faisant légèrement trembler et forçant Joanne à fermer les yeux pour essayer de retrouver son calme. Il ne pouvait rien lui faire, pas ici. Pas devant tout le monde. Elle prit une profonde inspiration. ”Je fais ce que je veux quand même, non ?” Elle déglutit avant de hocher la tête et de se tourner vers la serveuse. ”Merci beaucoup pour les plats.”

Joanne se força à manger, même si la faim lui était passé. Elle passait surtout son temps à vérifier que George mangeait bien, tout en essayant de cacher le fait qu’elle l’observait. Il ne l’aurait pas bien pris, et elle voulait surtout éviter de l’énerver encore plus qu’il ne l’était déjà. L’alcool aidant, la moindre contrariété pouvait mener à une situation embarrassante, pour elle comme pour lui. Alors autant ne pas prendre de risque. Elle macha sa salade sans en sentir le goût, plus pour s’occuper, pour ne pas attirer l’attention de son mari qui la regardait déjà de travers. Il avait commandé une autre bière, sa quatrième, et la buvait tout en mangeant et en jetant des coups d’oeil rapides à la télé. Joanne ne pouvait pas s’empêcher de se demander s’il n’essayait pas non plus de surveiller la serveuse, mais il valait mieux ne pas trop y penser. Une fois son plat fini, il se leva sans un mot et sortit son paquet de clopes d’une poche de sa veste. Il fumait rarement en règle générale, mais souvent quand ils venaient manger au pub. C’était comme si l’endroit provoquait le geste. Elle détestait cette habitude, mais elle n’avait jamais osé lui demander d’arrêter. Elle savait que ça ne servirait à rien.

La jeune femme était en train de l’observer fumer quand la serveuse fit son apparition. Elle fronça les sourcils de surprise avant de secouer la tête. Non, ils ne prendraient sans doute pas de dessert. George n’aimait pas ça, et elle n’avait aucune envie de s’attarder. Surtout pas si c’était pour que George fasse une nouvelle blague douteuse sur son besoin de garder la ligne. ”Non merci.” Joanne s’attendait à ce que la barmaid parte leur chercher l’addition, mais sa réaction la prit de court. Les sourcils toujours froncés, elle réajusta sa position sur la banquette. ”Je vous le confirme. Ce ne sont pas vos affaires.” Elle avait réagit instinctivement. Sa seule préoccupation, c’était de ne pas se faire remarquer, de ne pas attirer l’attention, de ne pas aggraver la situation, et la question de la jeune barmaid la mettait dans l’embarras. Elle se sentit rougir à son tour, d’autant plus que George était en train de revenir à leur table. ”Qu’est-ce qui se passe ici ?” Joanne se racla la gorge avant de lever les yeux vers le visage de son mari, espérant que son inquiétude n’y était pas lisible. ”Rien rien, on parlait du succès de la kermesse.” Elle se tourna vers la serveuse pour lui lancer un regard noir. [color=#cc3333]”Il ne faut pas s’étonner que la bouffe mette une heure à arriver si vous passez votre temps à papoter avec vos clients.”

Joanne pouvait sentir la serveuse commencer à s’énerver devant le comportement de son mari, non pas qu’elle puisse lui en vouloir. À l’époque où elle exerçait le même métier, elle n’aurait pas supporté un quart de ce que George lui avait dit, mais elle avait bien changé depuis, et elle priait de toute son âme pour que la serveuse ait plus de self control qu’elle n’en avait à l’époque. Malheureusement pour elle, Joanne se rendit bien vite compte que ce ne serait pas le cas. Elle écouta la barmaid répondre à son mari, figée sur place, tandis que son visage perdait tout trace de couleurs. Elle se tourna ensuite vers George, craignant sa réaction. À juste titre.  Son mari se leva, le visage rendu encore plus rouge que d’habitude par l’alcool et la colère. L’expression sur son visage, elle ne la connaissait que trop bien, mais heureusement pour la serveuse, il ne lui réserverait pas le même sort que celui qu’il attribuait normalement à sa femme quand il était dans cet état. Non, il n’aurait jamais pris le risque de frapper qui que ce soit en public, ça aurait fait trop de mal à sa réputation. ”Je ne sais pas pour qui vous vous prenez.” commença-t-il à dire, sa voix déjà plus forte que tout à l’heure. Il ne criait pas tout à fait, mais il n’en était plus très loin. Il avait commencé à s’approcher du comptoir et Joanne se leva précipitamment à son tour, bien consciente du fait qu’elle allait devoir intervenir. Si elle ne disait rien, George lui reprocherait de l’avoir laissé dire des bêtises après avoir bu, et si elle parlait, il lui reprocherait de l’humilier en public. Quoi qu’elle fasse, elle savait que ça finirait mal, mais elle pouvait encore éviter de s’humilier elle même. ”Je pourrais vous faire virer, là demain. D’un claquement de doigts.” Joanne se pencha en avant pour attraper le bras de son mari, assez doucement pour ne pas lui donner l’impression de vouloir le contrôler, mais assez fermement pour l’empêcher de continuer à avancer. Elle s’éclaircit la gorge, faisant de son mieux pour feindre une colère qu’elle ne ressentait pas. ”Votre patron entendra parler de nous, vous pouvez me croire.” La jeune femme tenta d’attraper le regard de la serveuse pour tenter de lui faire comprendre, de faire en sorte qu’elle ne se vexe pas. Sans être certaine d’avoir pu se faire entendre, elle tira légèrement sur le bras de son mari avant d’aller déposer quelques billets sur la table du bar, juste assez pour payer leur repas. Elle ne pouvait pas se permettre de laisser de pourboire, au risque que George ne la voit. Il la bouscula légèrement au passage. Il était assez ivre pour que ça puisse paraître accidentel, une simple maladresse, mais Joanne n’était pas dupe. Elle remis son sac sur son épaule avant de suivre son mari hors du pub, jetant un dernier regard à la serveuse qui était restée derrière son comptoir. Elle n’était pas certaine d’avoir pu sauver les apparences, mais elle avait fait de son mieux. Elle suivit son mari en sachant pertinemment que ça ne suffirait pourtant pas à éviter sa colère dès que la porte de leur maison se refermerait derrière elle.