but most of all I love the anonymity (juliet + joanne)

Stérile. Le mot l’avait assommée, comme elle l’imaginait toujours pour les personnages dans les séries criminelles. Comme une sentence prononcée par un juge. Irrévocable, et qui vous bouleverse toute une vie. Elle avait refusé d’y croire au début, refusé d’admettre que ça puisse être vrai, refusé de croire que la seule chose qui lui donnait encore un semblant d’espoir dans son mariage était parti… Pouf, fini. Le Dr. Webster avait essayé de l’aider, de la consoler même, de l’aiguiller au mieux, mais qu’y avait-il à faire, vraiment ? Tous les mots du monde ne pourraient pas changer cette simple vérité : Joanne n’aurait jamais d’enfants. Même après plusieurs semaines, elle avait encore du mal à y croire, à réaliser que c’était la vérité. Elle avait pris un dernier rendez-vous avec le Dr. Webster, car il le lui avait demandé, et elle avait été trop choquée pour savoir quoi dire. Alors elle avait accepté, sans vraiment savoir pourquoi. Dans le fond, ça ne changeait pas grand chose. George paierait pour le rendez-vous, et ce n’était pas comme si son emploi du temps était si chargé qu’elle n’avait pas le temps d’aller chez le médecin. Si elle n’avait pas été là, elle aurait été en train de traîner sur la plage, ou au fond de son lit, à espérer se réveiller dans un monde différent. Elle l’espérait souvent, mais son rêve ne s’était pas encore réalisé.

Elle détestait les salles d’attente chez le médecin. Elle détestait les autres patients surtout, elle avait toujours l’impression qu’ils la regardaient de travers, essayaient de deviner ce qu’elle faisait ici. À son âge, ils devaient penser qu’elle était enceinte, qu’elle venait de l’apprendre, qu’elle venait faire un premier check-up avec son gynéco local. Cette seule idée suffit presque à la faire pleurer. Elle passa une main contre ses yeux pour essayer de se ressaisir. Il ne manquait plus qu’elle se ridiculise devant le reste de la salle d’attente, que le bruit commence à courir que la femme de George Hawkes ne savait pas se tenir en public. “Oh il paraît qu’elle a fondu en larmes dans la salle d’attente du médecin.” “Oui, elle a même insulté Mme Moncrieff qui ne faisait qu’attendre son rendez-vous.” “J’ai toujours su qu’elle était folle de toute façon. Je vous l’avais dit.” Elle pouvait les imaginer d’ici. Elle prit une longue inspiration avant de remettre sa mèche derrière son oreille. Elle se tourna vers le bureau de la secrétaire médicale, comme si elle arriverait à savoir si son rendez-vous allait démarrer bientôt en le lisant sur son visage. Malheureusement pour Joanne, le visage de la jeune femme ne lui offrit pas d’informations supplémentaires. Elle tenta de lui lancer un petit sourire poli, mais se rendit compte avec horreur qu’une larme avait commencé à couler le long de sa joue. Elle l’essuya comme on aurait essayé d’arracher un pansement, vite, comme si ça pouvait l’effacer, l’annuler. Et voilà que ça commençait. Elle avait commencé à pleurer sans même s’en rendre compte ces derniers jours, de manière parfaitement aléatoire parfois, dès qu’elle relâchait son attention. Comme si son corps attendait un moment de faiblesse pour attaquer. Oui, ces derniers temps, elle pleurait souvent. Elle espérait juste que la secrétaire du cabinet ne l’avait pas remarqué.

Joanne avait envie que le sol l’avale pour ne jamais la laisser ressortir. Elle avait pris la mauvaise habitude de pleurer régulièrement dans la journée, mais normalement, elle attendait au moins d’être chez elle. Pleurer en public, ce n’était pas son genre, et pourtant il semblait qu’elle n’arrivait plus vraiment à s’en empêcher ces derniers temps. Elle avait à la fois envie de vérifier que personne ne la regardait et besoin de cacher son visage, justement pour que personne ne remarque les larmes solitaires et intermittentes qui coulaient le long de ses joues malgré tout ses efforts pour les retenir. Dans le doute, la jeune femme choisit de regarder le sol pour essayer de passer le plus inaperçu possible, même si elle se doutait bien que ça allait être compliqué. Elle se fiait au bruit de la porte du cabinet pour savoir si elle allait pouvoir être appelée bientôt, si bien qu’elle sursauta presque en entendant son nom alors que personne n’était sorti du bureau du Dr. Webster. Elle releva la tête par réflexe, exposant ses yeux rouges et sa mine déconfite. Elle mit quelques secondes à trouver l’origine de la voix qu’elle avait entendu, mais elle finit par se lever en direction du bureau de la secrétaire médicale. Elle qui avait espéré que la jeune femme n’avait pas vu ses larmes, c’était raté pour le coup. Si elle ne les avait pas vu jusque là, elle allait les voir maintenant, il n’y avait pas moyen d’y échapper. Joanne ne savait pas quelles informations pourraient manquer à son dossier, surtout que ce n’était pas comme si le médecin allait pouvoir faire une erreur et affecter sa stérilité. C’était déjà trop tard. Elle espérait simplement que la secrétaire n’allait pas la forcer à expliquer le motif de son rendez-vous en détails, elle n’était pas certaine de réussir à en parler à voix haute sans recommencer à pleurer. Elle préférait éviter de se donner en spectacle devant les autres patients du cabinet. Joanne suivit l’instruction de la jeune femme et s’assit face à elle, essayant d’ignorer les discussions des patients dans la salle d’attente. Une dame enceinte jusqu’au coup était en train de parler dans son téléphone, sans s’imaginer qu’elle pouvait gêner les autres. Elle ne gênait pas Joanne, au contraire, sa voix allait couvrir la sienne. “Et là le médecin m’a dit que je devais arrêter de boire, non mais, et puis quoi encore, faut pas pousser mémé dans les orties non plus…”. Joanne se força à ignorer les plaintes de la dame dans son dos avant de se tourner vers la secrétaire. Elle s’attendait tellement à devoir confirmer un point administratif qu’elle ouvrit les yeux grands comme des soucoups en entendant sa question. Elle ouvrit la bouche pour répondre avant de se rendre compte qu’elle ne savait pas quoi dire. Elle était partagée entre la gratitude et la honte, sans bien savoir quel sentiment dominait l’autre. Alors la jeune femme hocha la tête, en tentant un petit sourire en direction de la secrétaire médicale. Elle posa ses mains sur ses genoux avant de prendre une longue inspiration. ”Merci…” souffla-t-elle doucement en attrapant le regard de la femme assise face à elle. Joanne s’attendait presque à lire de la condescendance, un peu de jugement peut-être, mais l’expression sur son visage était douce, et Joanne se sentit un peu mieux juste de la voir. Elle ne savait pas exactement quand le Dr. Webster allait pouvoir la voir, et elle sentait un peu mal à l’aise tout de même de rester assise face à quelqu’un, presque obligée de la fixer, tout ça sans rien dire. Alors, même si elle n’en avait pas franchement envie, Joanne se força à sourire à la jeune femme, parce que c’était ce qu’on attendait d’elle, ce qu’on attendait d’une femme polie et bien élevée. Même si elle s’en sentait très loin ces derniers temps. ”Vous êtes sûre que ça ne vous embête pas ? Je ne vous ai pas vu souvent ici… vous travaillez avec le Dr. Webster depuis longtemps ?” Sa voix faiblit légèrement en mentionnant le nom de son gynécologue, mais elle fit semblant de rien.

Joanne prit une longue inspiration pour tenter de se calmer. Elle n’aurait pas su l’expliquer, mais la présence de la brune la calmait un peu. Elle avait comme une aura qui l’apaisait, ou peut-être que c’était simplement le fait de savoir qu’elle avait voulu l’aider, lui épargner quelques minutes de gêne, à pleurer seule dans la salle d’attente de son gynécologue. Mais il valait mieux ne pas trop y penser pour le moment, elle n’avait pas envie de se remettre à pleurer. Après ces dernières semaines, elle avait cru ne plus pouvoir physiquement pleurer, avoir épuisé toutes les larmes de son corps, mais à priori ce n’était pas encore le cas. Elle se demandait parfois si elle arrêterait de pleurer un jour. La jeune brune se tourna vers elle pour mieux montrer son visage et Joanne força un sourire, sans être certaine de réussir à être très convaincante. De toute façon la secrétaire du Dr. Webster l’avait vu pleurer il y a quelques minutes à peine, alors il n’était sans doute pas nécessaire de faire semblant, mais c’était la force de l’habitude. Le téléphone sonna et Joanne sursauta presque, avant de profiter des quelques secondes que durèrent la conversation pour essayer de se remettre les idées en place. Elle avait besoin d’arrêter de penser à la raison de sa visite chez le médecin, même si c’était presque inconcevable alors qu’elle était dans sa salle d’attente. Elle serra ses doigts autour de la hanse de son sac tandis que la jeune femme se tournait de nouveau vers elle.

Joanne hocha la tête poliment. Ceci expliquait donc cela, Joanne n’était pas revenue très souvent ces dernières semaines. Elle était venue souvent à une époque, mais depuis que le diagnostic était tombé, elle n’avait pas remis les pieds dans le cabinet. À quoi bon, après tout ? Si elle était là aujourd’hui, c’était parce que le médecin avait insisté pour la voir, pour faire le point. Un dernier point. Joanne se força de nouveau à sourire en entendant la question de la brune. ”Oui, j’habite ici depuis quelques années.” Elle ne savait pas bien si elle devait se sentir honorée que la jeune femme ait décidé de lui parler à elle, ou honteuse d’imaginer qu’elle s’y était sentie obligée, qu’elle lui ait fait tant de peine que la brune se soit dit que c’était nécessaire. Ses doigts se serrèrent encore un peu plus autour de la hanse de son sac, mais la secrétaire ne pouvait pas le voir. Oui, tout le monde se connaissait à Donwell, et c’était bien le problème. Elle baissa le regard un instant, un sourire un peu triste aux lèvres. ”Oui, tout le monde se connaît ici. Je viens de Londres, alors je comprends que ça vous change de Brighton. Je suis certaine qu’en cherchant bien on se rendrait compte qu’on a pas mal de relations en commun, c’est comme ça que les petits villages fonctionnent.” Joanne se retint d’ajouter “malheureusement” à la fin de sa phrase. Elle essayait de ne pas faire voir sa haine de Donwell aux gens autour d’elle, ce n’était pas pour le crier devant une inconnue, aussi gentille soit-elle. ”Vous vous acclimatez au village ? Vous avez pu rencontrer des gens ?” Joanne savait que c’était compliqué de se faire des amis en arrivant dans une communauté déjà si fermée, où tout le monde se connaissait. Même après des années, les gens la voyaient toujours comme une étrangère, non pas qu’elle ait fait beaucoup d’efforts pour les convaincre du contraire. Elle ne se verrait jamais comme une habitante de Donwell, pas au fond d’elle. Elle avait d’ailleurs l’impression que la brune face à elle était un peu dans la même situation, et elle se demandait ce qui avait pu l’amener à quitter Brighton pour ce petit village paumé.

Joanne se détendit peu à peu en écoutant la jeune femme face à elle, et surtout en sachant qu’elle n’avait pas besoin de retourner dans la salle d’attente. Elle détestait craquer en public, et elle savait également que George n’apprécierait pas d’entendre qu’elle s’était mise à pleurer dans le cabinet de son gynécologue. Si le reste du village l’apprenait, ils n’auraient pas trop de mal à en comprendre la raison, et Joanne savait que George ne le supporterait pas. Il refusait d’en parler à qui que ce soit, comme on cacherait une maladie contagieuse. Et même si Joanne n’avait pas envie d’en parler non plus, elle aurait aimé ne pas avoir à le cacher de la sorte. Joanne sentit ses sourcils sauter en entendant la secrétaire lui expliquer qu’elle avait grandi à Donwell. Elle gardait en général plutôt bien ses émotions, mais cette journée semblait être l’exception à la règle, et la jeune brune devait lire la surprise sur son visage sans mal. Elle avait du mal à imaginer la brune native de Donwell, mais surtout, elle avait du mal à imaginer que quelqu’un qui ait pu quitter le village ait un jour eu envie d’y retourner. Une fois retraité, peut-être, mais pas quand on avait l’âge de la jeune femme assise face à elle.

La brune poursuivit et Joanne hocha doucement la tête. Elle comprenait mieux ce que la jeune femme faisait à Donwell, et elle s’empêcha au dernier moment de répondre qu’elle n’avait pas eu le choix non plus. Elle doutait que George apprécie d’entendre que c’était sa version des faits, et elle devait bien admettre elle-même que ce n’était pas l’entière vérité. Elle se redressa sur sa chaise, légèrement mal à l’aise, mais soulagée de pouvoir continuer à discuter un peu. Tout pour ne pas penser au Dr. Webster, à son air désolé, à ses conseils pour l’aider à passer à autre chose. Elle passa une main dans ses cheveux avant de baisser légèrement les yeux. ”Mon mari.” Elle avait répondu d’une voix qu’elle aurait aimé plus enjouée, mais incapable de s’y forcer. Des gens auraient dit que c’était l’amour, qu’ils avaient suivi leur coeur, et toutes ces conneries. À une époque, c’était comme ça qu’elle aurait répondu aussi, mais depuis quelques mois, les mots avaient plus de mal à sortir. Elle prit une inspiration silencieuse avant de se forcer à sourire. ”J’ai suivi mon mari ici, il a toujours habité à Donwell. Enfin, vous savez ce que c’est.” Elle secoua doucement la tête en essayant de paraître amusée alors qu’elle avait l’impression que quelqu’un était en train d’appuyer sur ses épaules de tout son poids, essayant de la faire tomber, de l’écraser au sol. Elle jeta un coup d’oeil à la salle d’attente pour tenter de reprendre ses esprits, avant de se tourner de nouveau vers la secrétaire médicale. ”Je vais à Brighton de temps en temps, dans quel quartier habitiez-vous ? Enfin, si ce n’est pas indiscret...” Joanne sentit ses joues rougir légèrement. Elle avait hésité à lui demander quelles raisons familiales l’avaient poussé à revenir mais avait décidé que la question était trop indiscrète. La question qu’elle avait finalement posée n’était pas bien mieux, mais il était trop tard pour rattraper les mots qui étaient sortis de sa bouche.

Joanne sentit bien la surprise dans la voix et dans le regard de la jeune femme en l’entendant parler. Normalement elle mettait plus d’entrain dans ses réponses quand elle parlait de son mari, de sa vie à Donwell, de tout. Mais ces derniers temps, elle avait du mal à feindre le moindre enthousiasme, tout lui paraissait plus compliqué. C'était à peine si elle se sentait la force de se lever le matin, alors faire semblant d’être heureuse d’avoir emménagé à Donwell, c’était comme lui demander de s’arracher un bras. Elle n’en avait juste pas la force ni le courage. Et vu que la secrétaire venait de la voir pleurer dans sa salle d’attente, elle s’imaginait qu’il n’y avait rien de très étonnant à ne pas montrer trop d’entrain. Elle devait bien se douter que quelque chose n’allait pas, et si Joanne faisait normalement très attention à ne rien en laisser paraître, elle n’avait plus le sentiment d’en avoir la force aujourd’hui. Elle avait l’impression d’avoir une enclume sur les épaules, constamment, et elle commençait à avoir vraiment du mal à supporter son poids. Elle se sentait s’écrouler, petit à petit, et elle n’était plus certaine de réussir à tenir bien longtemps. Malgré cela, elle se sentit un peu rassurée de voir la réaction de la jeune brune face à elle, de voir qu’elle comprenait apparemment de quoi elle parlait. Elle se demanda un instant quels sacrifices la secrétaire avait eu à faire de son côté, pour son mariage, peut-être aussi pour ses enfants, et elle se demanda s’ils avaient été aussi déchirants que les siens. Si elle les regrettait autant. Elle ne le lui souhaitait pas en tout cas.

Joanne hocha doucement la tête en l’écoutant expliquer le quartier dans lequel elle avait vécu à Brighton. Elle voyait très bien l’endroit, à vrai dire elle connaissait la ville presque aussi bien que Donwell puisqu’elle y passait énormément de temps, mais elle ne se sentait pas prête à l’avouer ouvertement. C’était encore une de ces choses que George ne savait pas. Elles commençaient à s’accumuler. Joanne se redressa sur sa chaise et profita des quelques minutes qu’il fallut à la jeune femme pour s’occuper de la patiente qui venait de sortir du cabinet pour se calmer un peu. Elle sortit un mouchoir de son sac et s’essuya doucement le rebord des yeux pour tenter de sauver un minimum les apparences. Enfin ce qu’il en restait. Quand la patiente finit par partir, la jeune femme continua à rentrer les informations de son dossier tout en continuant à lui parler. Joanne se retrouva soudain jalouse de sa situation, du fait qu’elle pouvait travailler, être indépendante. Elle avait l’air si capable, mais si douce en même temps. Bien sur, Joanne avait tout pour être heureuse en apparence, mais elle aurait mille fois préféré être dans la position de la jeune brune face à elle. Elle était persuadée que même si sa vie devait sans doute avoir ses chagrins, elle aurait gagné au change. Joanne hocha la tête pour lui répondre, une petit boule au fond de sa gorge. ”Oui, l’ambiance ne doit pas être la même.” Elle se tourna doucement vers la salle d’attente, essayant d’ignorer le pincement au coeur qu’elle ressentit en voyant une femme enceinte en train de consulter son téléphone. Elle se força à sourire en se tournant de nouveau vers la jeune femme. ”Vous avez de la chance de pouvoir travailler dans un endroit où vous pouvez aider les femmes à avoir des enfants. Vous devez en voir beaucoup.” Bien sur, toutes les femmes qui venaient consulter le Dr. Webster ne pourraient pas avoir d’enfants, elle en était la preuve vivante, mais elle aimait s’imaginer que, dans d’autres circonstances, elle aurait pu travailler dans ce genre d’endroits. Dans un endroit où elle aurait pu aider d’autres femmes à réaliser ce qui devait aussi être un rêve pour elles. ”Oui, vous avez beaucoup de chance...” Joanne avait hésité à lui demander si elle avait elle-même des enfants, mais la question était restée coincée, à la fois trop personnelle et trop douloureuse.

Joanne s’éclaircit la gorge pour tenter de faire passer la boule qui était venue s’y loger. Oui, la jeune secrétaire médicale avait de la chance de travailler ici, même si Joanne savait que ce n’était pas forcément facile tous les jours. Elle aurait pu se voir travailler ici, à une époque, mais aujourd’hui ça aurait été impossible. Pas depuis… Joanne se força à ne pas y penser, même si c’était justement tout l’objet de sa visite. Il n’était pas nécessaire de se remettre à pleurer devant la jeune femme, au moins le Dr. Webster était déjà au courant, elle ne se sentait plus le besoin de faire semblant devant lui. Devant les autres, elle faisait de son mieux, même si c’était futile. Joanne se retint de froncer les sourcils en entendant la réponse de la secrétaire médicale. Bien sûr, personne n’était jamais entièrement satisfait de son métier, et il ne devait pas y avoir que des avantages à travailler dans ce cabinet, mais Joanne ne pouvait pas s’empêcher de trouver le ton de la jeune femme un peu étrange. Elle semblait presque gênée, même si Joanne avait du mal à s’expliquer pourquoi la jeune femme se serait sentie gênée. Elle cacha en partie son visage derrière son écran et Joanne détourna le regard, comme par réflexe. Elle avait passé suffisamment de temps à tenter de se cacher elle-même pour voir quand quelqu’un tentait de dissimuler ses émotions. Et ça, Joanne savait le respecter, même si elle était intriguée par l’attitude de la jolie brune.

Lorsque la jeune femme reprit la parole, cela ne fit que confirmer ce que Joanne avait senti. Sa réponse était générique, et même si Joanne ne s’était pas attendue à ce que la jeune secrétaire lui parle de sa vie et de ses espoirs en détail, elle avait tout de même l’impression que quelque chose clochait. Pas grand chose, juste une sensation. Elle hocha la tête sans se mouiller, juste pour faire comprendre qu’elle écoutait, mais son geste se figea quand Juliet lui demanda si elle avait des enfants. Joanne sentit son sang se glacer, ses doigts se resserrer autour de la hanse de son sac. La boule au fond de sa gorge était de retour, et la jeune blonde baissa les yeux. C’était presque une admission, mais elle se força à dire les mots. Elle avait fait de son mieux pour éviter de les prononcer, mais c’était stupide. Les mots n’y changeraient rien, quoi que le médecin puisse lui dire. ”Non… Non, je n’ai pas d’enfants.” Elle aurait aimé que sa voix soit claire, nette, mais ses mots étaient sortis dans un soupir, presque un murmure. Elle avait envie de se tourner, comme pour vérifier si les autres patients l’avaient entendue. Comme pour voir leur réaction, la pitié dans leurs yeux, ou pire peut-être, les mêmes reproches que ceux qu’elle lisait dans les yeux de son mari. Les larmes commençaient à lui monter aux yeux, mais elle se força à continuer. Foutue pour foutue. La jeune brune l’avait déjà vue pleurer, et peut-être valait-il mieux le dire ouvertement que de laisser la secrétaire le deviner par elle-même. ”C’est pour cela que je suis ici à vrai dire.” Joanne termina sa phrase dans un petit rire sans joie. On lui avait toujours dit qu’il valait mieux en rire qu’en pleurer, mais elle ne s’en sentait pas capable, malgré tous ses efforts. Sa gorge était sèche au point qu’on aurait pu penser qu’elle n’avait pas bu depuis des semaines. Elle avait beau se forcer, elle était incapable de poursuivre. Incapable d’aller jusqu’au bout et d’avouer que tout était de sa faute. Qu’elle ne pourrait jamais avoir d’enfants, que tous les efforts du Dr. Webster n’avaient servi à rien. Qu’elle était incapable, comme cassée. Elle se força à sourire, mais son geste devait plus ressembler à une grimace qu’à autre chose. ”Et vous ? Vous avez des enfants ?” Joanne passa une main dans ses cheveux pour se forcer à s’occuper, à ne pas penser aux nouvelles larmes qui menaçaient de couler. La jeune femme assise face à elle avait déjà été bien assez patiente, elle refusait de la mettre encore mal à l’aise à fondre en larmes à son bureau.