amen, omen ; pv.alan

Après un dernier sourire, Alan referma la porte d’entrée de chez lui. Il avait promis à Tess qu’il ne serait pas long, mais au final, il avait un peu menti, parce qu’il ne savait tout bonnement pas à quelle heure il allait rentrer. D’habitude, ses sorties au pub finissaient à minuit, grand maximum, parce qu’il savait se tenir et qu’il savait que sa fille ne dormirait pas tranquille tant qu’il n’était pas rentré. Cette fois, il lui avait dit qu’il ne savait pas du tout à quelle heure il rentrerait, qu’elle pouvait l’appeler si elle avait besoin avant de dormir pour qu’il la tienne au courant. Elle avait beau être une adolescente, elle était toujours la petite protégée de papa, et il lui fallait ses repères. Au fond, Tess n’était encore qu’une gamine. Bien entendu, il ne lui avait pas dit ce qu’il allait faire ce soir, il avait menti, prétextant qu’il allait rejoindre un ami qu’il n’avait pas vu depuis longtemps. Ce n’était qu’une partie de mensonge… la vérité, c’était qu’il allait revoir Juliet, une idée qu’ils avaient eu lors du gala, de se retrouver en terrain neutre pour pouvoir discuter tout leur soûl autour d’une bière ou deux. Si Tess avait su cela, elle aurait tout fait pour que son père n’y aille pas, il en était bien conscient, alors il n’avait pas eu d’autre choix.

Il pénétra dans le White Horse en même temps qu’il sentit son téléphone vibrer. Juliet lui avait dit qu’elle était déjà là, et après un rapide coup d’œil vers la notification en question, elle lui apprit qu’elle était à l’étage, et qu’elle avait déjà récupéré leurs deux bières. Elle ne perdait pas de temps. Le psychologue grimpa les escaliers quatre à quatre avant d’arriver dans la salle de l’étage, où il lança un regard circulaire avant de repérer Juliet, sagement assise en face de deux pintes de bière blonde. Il ne put s’empêcher de sourire face à l’évocation du souvenir qui résonnait en lui. C’était vieux, tout ça, tous ces souvenirs qui remontaient. Certains plus joyeux que d’autres, certes, mais celui-ci était particulièrement heureux, et mignon aussi. Une époque qui lui manquait, mais plus entièrement, comme si le deuil était fait, comme si ce n’était pas grave. Il s’installa en face de Juliet avec un sourire, se demandant s’il fallait être un peu plus poli que de lui dire un simple « bonjour », se ravisant juste avant qu’il ne fasse l’erreur de l’embrasser sur la joue. « Salut Ju… » C’était plus sage de garder ses distances. « Désolé, je suis un peu retard... Tu vas bien, depuis la dernière fois ?  » La dernière fois, c’était le gala, lorsqu’ils avaient passé tout un moment ensemble avant de partir chacun de leurs côtés, pour aller voir des connaissances, des amis. Tout s’était plutôt bien passé ce soir-là, un indicateur pour Alan, qui lui disait que tout allait peut-être rentrer dans l’ordre, qu’ils allaient vraiment se réconcilier pour de bon, même s’ils ne redeviendraient jamais amants. Et puis.. il y avait Joanne, et même si elle était intouchable et hors de portée, il n’allait certainement pas tout foutre en l’air pour une femme de son passé…

En s’installant tranquillement, Alan enleva sa veste pour ne pas mourir étouffé dans l’atmosphère déjà bouillante du White Horse, et regarda autour de lui pour observer les gens présents. Que des inconnus, ou du moins, des gens qu’ils ne connaissaient pas bien. C’était mieux, il n’avait pas spécialement envie que les gens sachent qu’il avait vu son ex-femme ce soir-là. Bien sûr, il y aurait forcément quelqu’un qui serait là pour jaser, c’était évident, mais le plus tard possible c’était, et le mieux ce serait. Il reporta son attention sur Juliet à partir du moment où il fut à l’aise sur sa chaise, et s’empara de sa pinte de bière pour la soulever afin de trinquer avec son ex-femme. Il lui jeta un coup d’oeil interrogatif, alors qu’elle lui répondait qu’elle allait bien, chose dont il n’était pas persuadé, pour le coup. Elle avait l’air soucieuse, mais il mettait ça sur le compte de leur entrevue nocturne, et du fait qu’elle était peut-être stressée. Ou alors, c’était sa mère, qui n’allait peut-être pas bien et ça la minait. Il le saurait bien assez tôt, de toute façon. « Plutôt pas mal aussi. La journée a été longue ! Parfois, j’en ai marre d’entendre les problèmes des gens, j’aimerais faire des choses plus palpitantes. » Leurs verres tintèrent l’un contre l’autre, et Alan sourit en regardant Juliet, tout en buvant une longue gorgée de sa bière, avant de reposer le verre sur la table. « Tu veux discuter de ce qui ne va pas ? » demanda-t-il, d’un air qu’il voulut gentil et amical, tout sauf curieux. « Promis, je ne vais pas jouer au psy, j’ai déjà fait ça toute la journée, je n’ai pas envie de continuer. » Il rit, doucement, pendant un instant, avant de concentrer sur le regard brun de Juliet. Malgré toute la rancoeur qu’il avait pu ressentir, et qu’il ressentait encore parfois en pensant à elle, il ne pouvait s’empêcher de se demander si elle allait bien, si tout allait dans sa vie. Comme un ami le ferait, en somme. « C’est ta mère ? » s’enquit-il, plutôt inquiet d’imaginer sa belle-mère, qu’il adorait profondément et que Tess aimait plus que tout au monde, être mal en point vis-à-vis de sa maladie. Au fond, il espérait qu’elle n’avait rien de grave, parce qu’il n’était pas vraiment prêt à expliquer cela à Tess.  

Alan s’attendait déjà au pire, à ce que Juliet lui annonce que l’état de sa mère avait empiré, qu’il se passait quelque chose de grave. Pourtant, elle n’avait pas l’air plus angoissée que cela, et elle n’aurait probablement pas maintenu leur soirée si tel était le cas. Alan la connaissait bien. Même si elle pouvait être très détachée quand elle parlait, elle tenait à sa mère plus que tout au monde, notamment depuis le décès de son père. C’était la seule personne qui lui restait. Elle n’aurait pas passé la soirée dans un pub si tout n’allait pas bien pour la matriarche Cavendish. Alors, le psychologue poussa presque un soupir de soulagement lorsque la brunette lui expliqua la frustration qu’elle avait ressenti lorsqu’elle avait appris que l’un de ses amis d’enfance était revenu à Donwell… et aussi reparti. Alan haussa les épaules. Horacio ? Ce nom résonnait en lui, sans qu’il ne se souvienne de quoi que ce soit. Il ne répondit pas, honteux. Elle lui en avait probablement parlé, oui, mais s’il ne l’écoutait pas parce qu’il était trop concentré sur sa journée de travail ou sur Tess, il n’avait probablement pas retenu ce prénom. Il n’allait certainement pas avouer une chose pareille, parce que ç’aurait été donner raison à la Juliet d’il y a quatre ans. Il avait peut-être envie de passer l’éponge et de repartir sur des bases saines, mais ce n’était sûrement pas pour avoir à se reprocher des choses non plus.

« Tout va bien pour moi, je te remercie, » lui répondit Alan en souriant et en buvant à nouveau une longue gorgée de sa bière. « En fait, j’ai eu des consultations très intéressantes ces derniers temps, ça m’aide à voir à travers les problèmes un peu ridicules de certaines vieilles bourges du coin. » Il lui adressa un clin d’œil, en espérant ne pas la froisser en disant une chose pareille. A l’époque, quand ils étaient tous les deux, plus amoureux que jamais, ils se moquaient des anciens qui s’évertuaient à râler sur tout ce que faisaient les jeunes du moment. Pour lui, c’était resté, parce que certains jours, dans sa tête, il n’avait encore que vingt ans, alors qu’il en était déjà bien loin. Peut-être que la mentalité de Juliet avait changé, contrairement à la sienne. A cause de lui, elle avait dû grandir et vieillir un peu prématurément, après tout. « Alors.. tu vis dans le coin, maintenant ? » demanda-t-il, pour changer de sujet et commencer à récupérer des réponses à toutes ses questions. « Je veux dire… tu étais à Brighton, c’est ça ? Et tu es revenue ici, du coup ? » Non pas que ça le dérangeait. Au fond, il savait qu’il était secrètement content de la voir réapparaître dans sa vie, parce qu’elle lui manquait, quand bien même tout son corps lui soufflait de la détester. Il savait également que si elle habitait de nouveau à Donwell, ça allait probablement devenir un problème, non pas pour lui, mais pour Tess, qui n’avait aucune envie de la voir en face d’elle. Alan savait par avance qu’il ne pourrait pas raisonner son adolescente de fille, et qu’il allait devoir faire avec la situation, en espérant qu’elle sache se contrôler, malgré tout.  

Alan ne pouvait s’empêcher de rire doucement en entendant Juliet s’étonner qu’il puisse y avoir des consultations intéressantes. Évidemment, ce n’était pas le cas tous les jours, parce que la plupart du temps, il s’agissait de problèmes plutôt banals, de femme malheureuse en mariage, d’homme trop pris par son travail - ce qui résonnait beaucoup en Alan - et tout ce qui sortait de l’ordinaire lui paraissait comme du pain béni quand cela arrivait. Néanmoins, il y avait bien une patiente en particulier qui retenait son attention, mais il n’allait certainement pas en parler avec Juliet. Il n’était pas prêt pour ça, et elle ne l’était sûrement pas non plus, parce qu’eux deux, c’était probablement elle qui n’avait pas encore réussi à surmonter tout cela. Il était intimement persuadé qu’elle avait encore des sentiments pour lui, autant qu’il avait de la rancœur pour elle. Et puis, il ne savait pas encore ce qu’il allait advenir de leur relation, s’ils allaient vraiment pouvoir être amis ou non. Cette soirée allait potentiellement être décisive.

Déjà, Juliet avait l’air enclin à parler de sa vie depuis leur divorce. Elle lui expliqua qu’elle avait vécu dans un petit appartement près de l’hôpital dans lequel elle travaillait. Il n’aurait jamais pensé qu’elle aurait voulu continuer dans la voie médicale dans laquelle ils se prédestinaient tous les deux. Alan pensait qu’elle profiterait de ce nouveau départ pour peut-être essayer de se faire une nouvelle vie, de travailler dans autre chose, de chercher à développer la carrière qu’elle aurait rêvé faire étant petite. Force était de constater qu’elle avait peut-être cherché la solution de facilité, pour gagner de l’argent aisément. Et il ne pouvait pas la blâmer. Il ne pourrait jamais réussir à quitter son métier de psychologue, même s’il le voulait. Alan hocha la tête en regardant Juliet expliquer qu’elle avait quitté ce confort de la ville pour revenir à Donwell pour s’occuper de sa mère, être un peu plus présente. Elle habitait donc bien ici, comme il s’en doutait. Il ne savait pas vraiment quoi faire de cette information, peu sûr de savoir si c’était une bonne ou une mauvaise nouvelle. « Non... en fait... on est restés dans la même maison.. » avoua Alan presque penaud, presque honteux d’avoir à avouer qu’il n’avait pas eu le courage de déménager, pas assez de temps non plus. Il but une nouvelle gorgée de bière, espérant alors que l’alcool puisse lui donner un peu plus d’assurance dans ses paroles. « Quand on a eu la confirmation que tu n’avais pas été enlevée ou quoi, et que le divorce a été prononcé, j’ai.. viré toutes tes affaires... mais je n’ai pas voulu changer de maison, parce que c’était ici que j’avais tous les bons souvenirs que je voulais garder en moi. » Il lui adressa un sourire. Après tout, même s’il lui en voulait énormément d’avoir tout plaqué ainsi, il savait qu’elle avait fait cela pour aller mieux elle-même. Il avait beaucoup réfléchi à tout ce qu’elle lui avait avoué lors de leur entrevue chez la mère de Juliet, et l’idée qu’elle ait eu envie d’en finir le clouait sur place. C’était pour le mieux, tout ce qui leur était arrivé, quand bien même ils en avaient beaucoup souffert. Et surtout, il y avait une enfant dans toute cette histoire. « Et.. humm.. tu as quelqu’un dans ta vie ? » Alan piqua presque un fard en posant cette question, parce qu’elle était très personnelle, et qu’il ne voulait pas la froisser ou la mettre en colère. Et surtout parce qu’il savait que si elle répondait sans problème, elle lui rendrait l’appareil, et voudrait savoir ce que donnait la vie sentimentale de son ex-mari. Alan n’était cependant pas prêt à évoquer le fait qu’il était en train de tomber amoureux d’une femme mariée...

Alan fixait ses mains, complètement surpris par sa propre audace à avoir demandé cela si tôt dans la soirée, alors qu’il avait pensé à lui demander, bien sûr, mais une fois qu’ils auraient vraiment bu. Maintenant, la bombe était lancée, et si Juliet l’avait regardé un instant en haussant un sourcil, comme surprise qu’il ait osé, elle ne put s’empêcher d’éclater de rire, ce qui rassura un tant soit peu Alan, qui se sentit moins idiot. Et aussi un peu rassuré, en quelques sortes, puisqu’elle semblait ne pas lui en vouloir d’évoquer le sujet. Il partait du principe que s’ils devaient devenir amis, il fallait bien qu’il se mette à la page. Et personne n’avait récupéré le coeur de son ex-femme. Le psychologue ne savait pas vraiment comment le prendre quand elle lui répliqua que ce n’était pas prêt d’arriver. Il cogitait, mais n’arrivait pas à savoir si c’était parce qu’il l’avait trop brisée pendant qu’ils étaient ensemble, ou si c’était plutôt elle qui ne souhaitait pas faire deux fois la même erreur. Peut-être un peu des deux, probablement… Il se figea, toutefois, en entendant la suite et plongea son regard dans celui de Juliet, un peu plus froidement cette fois. Si Tess avait trouvé une nouvelle maman ? Il se mordit l’intérieur de la joue pour ne pas être impoli et rude, mais il avait envie de lui répondre qu’elle pouvait le demander elle-même à sa propre fille. Tess ne disait jamais rien, mais il savait qu’elle manquait d’une chose dans sa vie, quelque chose qu’il ne pouvait pas lui donner, puisque cette même chose s’était fait la malle des années auparavant… Il secoua la tête avant de sourire à nouveau, Juliet semblait vraiment navrée d’avoir dit cela, et il ne fallait pas qu’il s’emporte. C’était ridicule et puéril. « Je n’ai personne non plus… » répondit-il, en omettant bien le fait que malgré tout, il avait bien quelqu’un en vue. Mais la situation était tellement compliquée que ce n’était pas la peine de confier tout ceci à son ex.. ça pourrait faire envenimer les choses. Au lieu de cela, il plaisanta un peu : « Disons que c’est compliqué de trouver quelqu’un dans la trentaine à Donwell qui ne soit pas déjà marié ou qui ne soit pas complètement fou. » Il savait qu’il aurait dû, après le départ de Juliet, passer du temps à Brighton et peut-être essayer de trouver quelqu’un. Ce qu’il faisait avec Joanne, tomber amoureux d’elle, ce n’était pas sain : elle était mariée à l’un des hommes les plus influents du village et puis c’était sa patiente. D’un point de vue déontologique, ce n’était pas possible de se résoudre à faire une chose pareille… et pourtant ! Maintenant qu’elle était entrée dans sa vie, il ne pouvait plus faire marche arrière… et puis, Juliet avait raison, Tess avait trouvé en elle une potentielle nouvelle maman d’adoption. S’il ne foirait pas tout mais que leur relation n’allait pas plus loin, Tess aurait au moins quelqu’un avec qui parler de vêtements, de chaussures et de peinture. Il changea instantanément de sujet en sentant qu’il se perdait dans ses pensées et que ce n’était pas une bonne idée, puisque Juliet, aussi observatrice fut-elle, le verrait immédiatement. « Et alors tu ne travailles plus en ophtalmo ? Tu as dit que tu y bossais, mais ce n’est plus le cas ? J’aurais pensé que tu aurais continué dans la psychologie, en fait.. mais j’ai dû t’en dégoûter, non ? » Il n’y avait aucun ressentiment dans ses paroles. Il comprendrait, si elle lui disait qu’elle n’avait pas pu imaginer faire le même métier que lui et devenir comme lui…  

Alan espérait qu’ils n’abordent plus le sujet de leur célibat, assumé ou non, alors que c’était lui-même qui avait lancé le sujet, ne sachant pas quoi dire à son ex-femme. Il fallait bien qu’ils discutent, ils étaient là pour cela après tout. Mais il ne s’attendait pas à ce que ce soit si difficile de lui mentir par omission. Surtout, il savait parfaitement qu’elle ne serait pas dupe très longtemps et il ne fallait impérativement plus qu’ils parlent de ce sujet plutôt épineux. Alan ne le savait pas vraiment, mais il imaginait que Juliet pourrait lui en vouloir d’être passé à autre chose, de l’avoir oubliée… et même si ce n’était pas encore vraiment le cas, il sentait une once de colère bouillir en lui, contre lui-même d’ailleurs. Pourquoi s’empêcherait-il de vivre une nouvelle relation à fond ? Juste parce que le fantôme de son mariage le survolait parfois ? Parce que Juliet serait jalouse, potentiellement ? Hors de question qu’il se gâche encore la vie. Si quelque chose devait se concrétiser, alors elle se concrétiserait. D’un geste de l’épaule, il revint dans la conversation en clignant des yeux, conscient qu’il était parti trop loin dans ses pensées et qu’il n’entendait pas tout ce que Juliet lui disait. Elle expliquait qu’elle travaillait désormais pour le médecin généraliste de Donwell, et il hocha la tête, heureux pour elle. « C’est chouette au moins, tu as pu rebondir pour rester près de ta mère… » Il était vraiment navré de ce qui arrivait à cette pauvre femme. Il n’aurait jamais pensé qu’une personne comme elle puisse se retrouver entravée de ses libertés à cause d’une maladie aussi terrible. Ce n’était pas comme si elle n’avait rien vécu de dramatique auparavant, notamment avec la mort de son époux. Juliet en avait beaucoup souffert également à l’époque, et Alan s’en souvenait comme si c’était hier. « Tu aurais fait une bonne psy, pourtant. Vraiment quelque chose de thérapeutique autrement… avec le dessin, tu aurais pu faire de l’art-thérapie.. mais je comprends, et la médecine générale, c’est super aussi. » Alan n’avait aucune envie de la juger, ou de dire qu’elle avait fait les mauvais choix. La vérité, c’était que Juliet avait fait les choix qu’elle avait pu, en s’enfuyant de son domicile conjugal en laissant mari et enfant. Le psychologue imaginait facilement la galère qu’elle avait pu traverser, le besoin d’argent, le besoin de se reconstruire. Il ne pouvait pas porter de jugement sur ses décisions, parce qu’elles étaient celles d’une femme désemparée… Nouveau mouvement d’épaule, nouveau retour sur Terre pour le jeune homme qui, décidément, partait dans ses propres introspections alors que dans le monde réel, il était entouré de bruit, de monde. Il tourna la tête vers la brune quand elle évoqua Penny et son mari, Daniel, étonné qu’elle demande comment se portait la personne qui avait été sa meilleure amie durant des années, avant qu’elle ne disparaisse. Penny gardait une image amère de Juliet. Elle était beaucoup plus rancunière qu’Alan, et clamait fort que cette femme - puisqu’Alan ne voulait même pas penser aux injures qu’elle utilisait pour la désigner - avait détruit leur vie. Ce qui était un poil fort et surestimé au goût d’Alan. « Penny va très bien, comme d’habitude. Tu imagines bien que je la vois tout le temps, comme d’habitude, il y a des choses qui ne changent pas. » Il sourit en faisant tourner la bière dans son verre, avant d’en boire une longue lampée. « Elle est toujours avec Daniel, ils sont heureux je pense, en tout cas ils ont l’air vraiment heureux. » Il les enviait parfois, parce que leur vie était encore tout à fait normale, il ne leur était rien arrivé de dramatique, à eux. Mais c’était tout ce qu’Alan voulait pour sa petite soeur chérie. « Je ne vais pas te cacher que Penelope ne te porte plus vraiment dans son coeur, j’imagine que tu t’en doutes.. D’ailleurs, si elle savait que j’étais avec toi ce soir, elle m’aurait probablement assommé avant de venir te réduire en bouillie… tu la connais… » Alan ne lui avait rien dit du retour de Juliet, il ne lui avait pas expliqué qu’il l’avait revue chez sa mère, et qu’ils allaient boire un verre ce soir-là. Il avait préféré ne pas déclencher une tempête. Pourtant, il savait qu’un jour il faudrait qu’il lui dise, mais plus le temps passait et plus il y allait à reculons…

Pour Alan, c’était vraiment important qu’il puisse montrer à Juliet qu’il avait l’envie de l’aider, quoi qu’il arrive, et pouvoir lui trouver des solutions de vie si elle en avait besoin. Elle était bien assez grande pour gérer sa vie toute seule et pour ne pas avoir besoin de son avis, mais il ne pouvait s’en empêcher. Ce qu’il voulait, c’était peut-être se rattraper, dans un sens. Alors, il était bien content qu’elle l’écoute et qu’elle semble l’approuver, quand il parlait d’art-thérapie. Sûrement que ça ne se produirait jamais, mais au moins, il l’avait dit, n’avait pas gardé l’idée pour lui. Au moins, c’était quelque chose qu’il faisait généralement bien, conseiller les gens. Alors s’il pouvait aider celle qu’il avait aimée si fort durant toutes ces années, il ne se gênerait tout de même pas.

La conversation avait bifurqué sur Penelope et son mari, et Alan se sentait presque mal à l’aise de lui avouer tout cela, de lui dire ce qu’elle savait probablement déjà, notamment que sa meilleure amie de toujours ne pouvait plus vraiment la voir en peinture. En fait, cela faisait très longtemps qu’Alan et Penny n’en avaient pas parlé, comme s’ils avaient tous deux préféré enterrer cette histoire et ne plus avoir à penser à Juliet, et aux bons moments qu’ils avaient eus avec elle. Peut-être qu’elle avait changé d’opinion, qu’elle la détestait moins qu’avant, mais il n’en était pas vraiment convaincu. Sa haine se serait peut-être tarie, avec un peu de chance, mais elle ne serait jamais vraiment dissoute. Penny avait vécu cet abandon aussi mal que son frère. Si Alan avait su garder la tête froide malgré tout, pour Tess notamment, ce n’était pas le cas de sa soeur, qui avait tenté de chercher son ex-belle-soeur et meilleure amie partout, à Donwell, à Brighton, dans les environs, pendant des semaines, et probablement plus longtemps encore, sans en parler à Alan. Il ne savait pas tout. Et c’était pour cette raison qu’il savait que sa soeur n’allait pas voir d’un bon oeil le retour de la brune en ville. « Je vais voir si l’occasion se présente pour que je lui en parle.. Je ne sais pas si elle voudra vraiment te voir, surtout. » Il baissa la tête, presque totalement désolé pour Juliet. « Elle t’en a énormément voulu, plus que je ne le crois… » Il soupira, avant de se rendre compte que pour aider Juliet à s’excuser auprès de Penny, elle aura vraiment besoin de lui. Il faudra qu’il arrondisse les angles pour elle auprès de sa soeur, sinon cette dernière serait capable de la frapper. C’était la dernière chose qu’il souhaitait voir. « Je lui parlerai, promis. » Il but à nouveau une longue gorgée de bière. L’alcool commençait déjà à lui monter à la tête. Plus il vieillissait, moins il réussissait à le tenir, c’était pitoyable. « J’espère que vous pourrez redevenir amies. Notre divorce n’a rien à voir avec votre amitié, et ça me rend triste de savoir que ça a tout éclaté entre vous deux. Vous étiez amies avant que tu ne sois ma copine après tout… » Leur histoire, toute leur relation était bien plus ancienne, et Alan savait que la rancoeur de sa soeur venait aussi de là, du fait que Juliet ne lui ait rien dit auparavant avant de partir, alors qu’elles étaient comme deux soeurs, toujours fourrées l’une avec l’autre, toujours à tout se dire. Tout cela avait été gâché, et Penny la tenait pour responsable, bien évidemment.