amen, omen ; pv.alan

C’était avec une tristesse infinie qu’Alan avait compris, à l’époque, que sa soeur Penelope n’avait pas su faire la part des choses entre la famille et les amis. Il ne pouvait décemment pas lui en vouloir. Après tout, sa meilleure amie était devenue sa belle-soeur, à cause de lui. C’était la vie à qui il fallait en voir, au destin, au sort. Mais il se doutait que c’était plus compliqué que cela. Et il ne voulait pas juger sa sœur. Il hocha la tête en entendant Juliet penser tout haut en disant que son amie aurait dû décolérer. C’était ce qu’Alan pensait aussi. S’il gardait une rancœur depuis des années contre son ex, il savait néanmoins prendre du recul… et c’était ainsi qu’ils pouvaient discuter librement ce soir-là. Mais Penny était plus jeune, et plus fougueuse, probablement. « Elle le fera, ne t’en fais pas, » murmura-t-il, sans vraiment savoir si Juliet allait l’entendre, vu le bond qu’elle venait de faire de sa chaise. Il ne put s’empêcher de sourire en comprenant le message. Elle n’avait plus envie de parler de cela pour l’instant et il ne pouvait pas vraiment la blâmer pour cela. Lui non plus n’était pas au top de son moral quand il évoquait le mental de sa petite sœur chérie. « Une autre bière, si ça ne te dérange pas. Tu ne veux pas que j’y aille ? Tu as déjà payé la première tournée… » Il n’était pas forcément à l’aise à l’idée de se laisser payer des coups, Alan, et il savait pertinemment que Juliet n’allait pas lui laisser le choix. Aussi, il faudrait qu’il réagisse plus vite la prochaine fois. Il termina sa première pinte en attendant que Juliet ne ramène les autres et observa les gens autour d’eux dans le bar. Par chance, il ne connaissait personne. Le psychologue était soulagé. Il n’avait pas spécialement envie que l’on sache qu’il avait revu la femme qui avait partagé sa vie comme ça. Si cette histoire arrivait aux oreilles de la mauvaise personne, il savait qu’il n’aurait plus aucune chance… déjà que c’était cuit, ce n’était pas la peine d’en rajouter une couche. Avec un sourire, il regarda la brune revenir vers lui, en souriant, deux verres à la main. « Comme au bon vieux temps… » Il la remercia en levant le verre devant lui, à la santé de Juliet. Il ne savait pas vraiment comment aborder un autre sujet, quelque chose qui ne serait pas très spécifique, qui ne les blesserait pas tous les deux, un sujet léger, calme. Comme si toute sa vie depuis Juliet n’avait été qu’une suite de rebondissements tous plus stressants et blessants les uns que les autres. Il aurait aimé lui parler de Tess, mais il savait très bien qu’elle n’y trouverait pas compte, qu’elle n’en aurait probablement rien à faire. Et ainsi il se rendit compte que sa vie tournait bien trop en rond en ce moment. Evidemment, il y avait le sujet « Joanne », mais il ne pouvait décemment pas parler de cette histoire avec son ex. Tourmenté par ses pensées, il choisit le premier sujet qui lui traversa l’esprit : « Tu as continué le dessin ? » Il était intrigué de savoir si sa passion pour cet art s’était tarie ou si justement elle s’était développée. Quand il voyait la facilité qu’avait Tess pour dessiner et peindre, Alan ne pouvait s’empêcher de se dire qu’elle avait hérité de la meilleure génétique possible de ses deux parents. 

On pouvait dire que Juliet savait comment parler à un ex-compagnon. Alan ne put s'empêcher de rire un peu, tant la situation était épique. Il ne savait pas vraiment ce qu'il fichait là, dans ce bar, à discuter de sujets prenants et poignants avec son ex-femme. Mais il aimait bien cela. Pour une fois depuis longtemps, il se sentait à l'aise, même si l'ambiance n'était pas encore très réchauffée. Pour une fois, même s'il marchait tout de même sur des œufs, il savait qu'il n'avait pas vraiment besoin de réfléchir pour parler, parce que Juliet et lui avaient tout vécu. Le fait qu'elle plaisante en lui disant qu'il y avait l'alliance en moins, mais que tout était presque comme avant, c'était plutôt drôle, et Alan comprenait, au fur et à mesure, que les choses allaient potentiellement revenir telles qu'elles étaient auparavant. Il n'aurait jamais cru cela possible un jour, tant il avait de la rancoeur envers Juliet, celle qui pourtant avait été sa femme, et aussi sa meilleure amie. Il n'imaginait pas que cela puisse arriver, et pourtant... les choses changeaient. "Tu sais, je trouve ça plutôt drôle, moi aussi," rajouta-t-il en lui faisant un clin d'œil amical. "Ce n'est pas parce qu'on a largement eu notre dose de souffrance que l'on ne peut pas en rire un peu." Il se voulait rassurant, désirant montrer à la petite brune qu'elle n'avait rien à craindre, surtout pas son courroux, ce soir-là. Il embraya aussitôt sur le dessin, et Juliet s'en retrouva malgré tout soulagée, il pouvait le discerner à son expression. Mine de rien, il était heureux qu'elle ait pu continuer ce passe-temps, qui était si cher à ses yeux, et qu'elle avait légué à sa fille, sans même le savoir. Alan allait bien se retenir de lui expliquer cela, il ne ferait qu'empirer la situation, mais les mots lui brûlaient les lèvres, il avait envie de tout lui dire, de lui parler de Tess, de lui montrer ses créations... et cela ne servirait strictement à rien. Au lieu de quoi, Alan regarda en souriant doucement les dessins que Juliet voulait bien lui montrer, qu'elle avait pris en photo sur son téléphone. Elle était douée, à n'en pas douter. "C'est très beau ce que tu fais, tu t'es encore améliorée, je trouve." Il était sincère, pourquoi ne le serait-il pas ? Mais il ressentait un léger pincement de coeur en imaginant ce qu'elles auraient pu partager toutes les deux, Tess et elle. Peut-être qu'elle changerait un peu d'avis s'il lui expliquait.. mais il n'en était pas sûr. Et ça le broyait de l'intérieur. Il apprécia le changement de sujet, même si le pincement était toujours présent. "De nouveaux amis, pas spécialement... enfin, tu sais, c'est toujours les mêmes personnes qui vivent ici !" Il rit, doucement, avant de reprendre la parole. "J'ai été plutôt taciturne, ces derniers temps, mais je sors toujours au pub, comme ce soir par exemple. Et puis, je travaille toujours beaucoup, même si j'ai dû ralentir un peu et me prendre des jours de repos." Elle devait bien se douter qu'il avait dû changer de mode de vie, mais en réalité, dès que Tess était en cours, il travaillait d'arrache-pied, sans discontinuer. Parfois, il avait envie de tout envoyer en l'air, mais ce n'était pas raisonnable. Et puis que ferait-il d'autre ? Il n'était pas capable de disparaître et de devenir quelqu'un d'autre. "Je me dis parfois que je devrais faire du sport, refaire du foot par exemple ! Ou bien aller courir ! Tu fais du sport, toi ?" C'était banal, nul, inutile, mais Alan ne savait pas vraiment comment se dépêtrer de cette situation gênante pour lui. Il était encore jeune, mais il vivait déjà comme s'il avait quatre-vingt ans. C'était pathétique, et il le savait. Honteux, il baissa les yeux vers la bière toute fraîche que Juliet venait de rapporter du comptoir et en but une longue gorgée, comme pour oublier ce qu'il venait de lui expliquer. La soirée allait être longue s'il continuait à être aussi gênant.