true disaster (jethro)

---

Charlie sentait bien que l’atmosphère était tendue à l’intérieur de la voiture, mais il ne savait pas trop comment changer ça. Jethro avait beau faire semblant de ne pas avoir compris, le médecin savait que ce n’était pas vrai, qu’il disait juste ça par peur d’aborder un sujet difficile. Charlie était incapable de savoir exactement ce qu’il savait et ce qu’il avait compris de la situation, tout ce qu’il savait c’était qu’il avait déjà trop d’information à son goût. Il laissa échapper un léger soupir en continuant à faire semblant d’observer le paysage à travers la vitre, oui il en savait trop à son goût, il aurait aimé réussir à garder ça pour lui encore un moment, mais une partie de lui en était aussi soulagée. Il venait de réaliser à quel point il s’était senti seul auparavant, seul à devoir lutter contre ça. Il n’avait pas anticipé que ça le pèserait autant, il ne s’en était même pas rendu compte avant cet instant. Et en même temps la réponse de Jethro, qui apparemment n’osait même plus le taquiner, lui rappelait pourquoi il avait fait ce choix. Il n’avait pas voulu que son entourage commence subitement à le voir différemment, à prendre des pincettes avec lui, à ne plus oser lui dire les choses. Jethro semblait gêné d’être à ses côtés, et ça, c’était exactement le genre de réaction qu’il avait voulu éviter. Il avait l’air ailleurs, perdu dans ses pensées, et Charlie était à peu près certain qu’il mentait en disant qu’il allait rejoindre son ami. Il en eut d’ailleurs la confirmation juste après quand Jethro lui expliqua qu’il ne savait pas encore exactement ce qu’il allait faire de toute façon. Charlie avait supposé qu’il l’avait suivi pour lui poser des questions et essayer de le cuisiner, alors il ne comprenait plus très bien ce qu’il se passait. A quoi bon venir avec lui sur un coup de tête si ce n’était pas pour demander quoique ce soit ? Il se tourna rapidement vers Jehtro, essayant de comprendre ce qu’il se passait dans sa tête, sans grand succès. Il avait l’air agacé, et mal à l’aise, tout ça Charlie avait pu le deviner sans détacher ses yeux de la vitre. Il haussa les épaules. « J’en sais rien. » Avoua-t-il, se demandant s’il n’était pas temps de laisser tomber l’excuse bidon des papiers à aller chercher et d’avouer pourquoi il allait à l’hôpital. Jethro savait qu’il n’y allait pas pour ça, lui aussi le savait, c’était ridicule, mais il avait toujours eu du mal à parler de sa vie privée, encore plus avec Jethro, et encore plus de ce sujet. Il aurait eu l’impression de le lui imposer, aussi bête que ça puisse paraître. Après tout c’était son beau-frère qui s’était incrusté dans la voiture, il ne l’y avait pas poussé de force. « Ça ne dépend pas vraiment de moi. » Ça allait surtout dépendre de ce que son médecin à lui allait dire. Il avait même envisagé de passer la nuit à l’hôpital si ses nausées n’arrêtaient pas de sévir. Il n’avait pas envie de montrer ça à Jade et bizarrement, il ne l’imaginait pas non plus gober l’histoire de l’intoxication alimentaire. Le chauffeur se gara devant l’hôpital et Charlie le remercia et lui souhaita une bonne journée avant de descendre, soulagé d’avoir réussi à ne pas être à nouveau malade en chemin. Pour une fois l’air frais de Brighton lui fit du bien. Il regarda la voiture s’éloigner et croisa le regard de Jethro, qui était descendu avec lui. « Je sais pas quand je vais pouvoir rentrer, je te conseille pas de m’attendre. » Lança-t-il, se sentant con en le disant. Comme si Jethro avait prévu de l’attendre pour retourner à Donwell. « Mais t’inquiète pas je devrais m’en sortir avec… mes papiers. » Ne put-il s’empêcher d’ajouter, se forçant à paraître amusé et à dire ça d'un ton léger, hésitant pourtant avant de finir sa phrase, se demandant s’il n’aurait pas mieux fait d’être plus franc. Ça devenait vraiment ridicule. Il se gratta nerveusement la nuque avant de tourner le dos à Jethro et de se diriger vers l’entrée de l’hôpital, faute de savoir quoi ajouter. Il avait à peine fait un pas en avant qu’il s’arrêta et se tourna à nouveau vers son beau-frère, sachant soudainement ce qu’il avait voulu dire. « Merci. » Il l’avait dit timidement, comme s’il avait honte. C’était un peu le cas en vérité, et il n’était pas sûr de savoir de quoi il le remerciait. De l’avoir accompagné jusqu’ici ? D’avoir joué le jeu et de ne pas l’avoir bombardé de question ? En tout cas il lui en était reconnaissant.

---

Charlie s’était senti gêné de le remercier, le remercier de quoi ? Il n’en savait rien, mais la réplique de Jethro lui avait aussitôt redonné le sourire. Elle lui arracha même un petit rire, oui, il préférait largement ça, que Jethro le charrie et fasse de l’humour, c’était mieux que de discuter sérieusement. Le seul fait qu’il ait l’impression de le voir recommencer à lui parler normalement suffisait à le détendre, c’était un sentiment de normalité dont il avait besoin. Il n’avait aucune envie d’aller voir son collègue, de recommencer à passer des examens, d’attendre anxieusement les résultats… C’était plus simple de rester avec Jethro et de faire semblant de rien, de prétendre que la situation était totalement normale et qu’il était vraiment là pour aller chercher des papiers, parce qu’il bossait trop, parce qu’il était incapable de se détendre… etc. C’était aussi plus simple pour eux de prétendre que Jethro n’était là que pour profiter de Brighton, Charlie s’était posé la question tout à l’heure mais il voyait bien que son beau-frère ne faisait que jouer le jeu, pour lui, et peut-être aussi parce qu’il se sentait gêné de l’avoir suivi. Le médecin était incapable de comprendre pourquoi il l’avait fait d’ailleurs, il s’était peut-être senti mal de l’avoir emmerdé alors qu’il était malade, il avait peut-être eu pitié de lui, ou bien il se serait senti coupable de le laisser venir ici tout seul ? Ça n’avait pas vraiment de sens, Charlie ne comptait pas franchement sur Jehtro pour prendre soin de lui, c’était même plutôt l’inverse. N’empêche que ça lui avait fait plaisir et maintenant qu’il allait devoir aller passer ces foutus examens, il avait presque envie de lui demander de venir avec lui. Il sentit son coeur se resserrer légèrement à l’idée de devoir le faire tout seul, comme d’habitude, sachant pourtant que s’il devait recevoir une mauvaise nouvelle il allait préférer être seul. Il ne savait pas vraiment expliquer cette envie, peut-être que maintenant que quelqu’un se doutait qu’il était malade l’idée d’être accompagné ne faisait plus autant mal à son égo. Au fond ça ne changeait rien, il ne pouvait pas lui imposer ça. « Si je peux rendre service... » Lâcha-t-il d’un ton faussement sarcastique, pas le moins du monde vexé. Du moment qu’il n’avait pas besoin d’aller le traîner de force hors d’un bar comme l’autre fois, il ne risquait pas de faire la gueule. Il avait juste un peu peur que Jethro n’ait pas bien conscience du temps qu’il risquait de passer à l’hôpital. Tant pis, il s’en soucierait en temps et en heure, et pour l’instant sa préoccupation principale c’était bel et bien sa santé. « Je devrais y aller. Amuse-toi bien. Enfin pas trop. » Il lui lança un regard entendu, se rappelant bien de l’état dans lequel il l’avait trouvé la dernière fois qu’ils étaient venus tous les deux ici et qu’il l’avait abandonné pour passer à l’hôpital. Il résista une dernière fois à l’envie de lui demander de venir avec lui, fit demi-tour et pénétra dans l’hôpital.

- - -

Charlie était en partie soulagé. Son collègue lui avait assuré que les vomissements étaient surtout dus aux médicaments qu’il prenait, et lui avait conseillé de passer plus régulièrement à l’hôpital pour suivre son traitement, celui-ci semblant avoir moins d’effets secondaires pour l’instant. Oui, il lui avait dit de passer plus souvent, parce qu’il lui avait aussi expliqué qu’il avait besoin de se reposer, de vraiment se reposer, et pas de faire semblant comme il le lui avait reproché. Il avait parlé à son chef de service et ils étaient arrivés à la même conclusion : Charlie devait arrêter de travailler pendant une durée indéterminée. Si le médecin n’avait pas été aussi anxieux pour sa santé il aurait probablement protesté, à la place, il les avait laissé prendre la décision à sa place. C’était plus facile comme ça, il n’avait pas besoin d’admettre lui-même qu’il en avait grandement besoin de ce repos. Il ne savait juste pas comment il allait pouvoir expliquer ça à Jade sans tout lui raconter… Il y réfléchirait ce soir après être rentré. Il envoya un message à Jethro pour lui dire qu’il était prêt à rentrer à Donwell, sans surprise, son beau-frère ne lui avait pas donné de nouvelles, il avait tenu sa promesse de l’attendre pour rentrer apparemment. Il alla s’asseoir sur un fauteuil à l’accueil en attendant sa réponse, espérant qu’il ne soit pas bourré et à l’autre bout de la ville.

---

La réponse de Jehtro ne tarda pas mais Charlie fronça quand même les sourcils en la lisant. La plage ? Qu’est-ce qu’il était allé faire à la plage ? Il commençait à se faire tard et il ne faisait pas encore assez chaud pour se baigner. Vu la résistance à la douleur de son beau-frère il doutait sincèrement qu’un bain dans l’eau à 10°C de la Manche l’aurait tenté. Il évalua ses options, la plage n’était qu’à un petit quart d’heure à pied et l’air frais lui ferait du bien, il en était convaincu. D’un autre côté il était aussi fatigué et il avait peur que Jade et Aaliyah s’inquiètent s’ils rentraient trop tard, il irait plus vite en commandant un uber. Au final il se décida sur la première option, il se sentait déjà nettement moins fébrile que tout à l’heure et ses nausées étaient passés pour l’instant. Pourvu que ça dure. Il profita donc du fait que Jethro l’attende à la plage pour se faire une petite promenade improvisée, sans se soucier de savoir s’il était pressé ou non. Il avait du mal à l’imaginer pressé de rentrer à Donwell un jour pour être honnête, alors c’était dur de se sentir coupable de le faire attendre. Il ne savait pas exactement à quoi il s’était attendu quand il lui avait dit de venir le chercher à la plage mais pas à ça, pas à Jethro assit tout seul sur les galets et les yeux rivés sur la mer. Il avait pensé l’appeler pour lui signaler sa présence et lui dire de venir le rejoindre mais il ne voulait pas crier. Il alla donc à sa hauteur et baissa les yeux sur lui, remarquant aussitôt qu’il s’était battu. Ou plutôt qu’il s’était fait battre. Il fronça à nouveau les sourcils avant de venir s’asseoir à côté de lui. Il observa un peu ses blessures, c’était plus fort que lui, il voulait s’assurer que ce n’était rien de grave. Ça avait l’air superficiel, il aurait probablement quelques bleus le lendemain et sa lèvre risquait de lui faire mal pendant une petite semaine mais il allait s’en remettre. Charlie commençait vraiment à croire qu’il était fragile. Et qu’il cherchait la merde surtout. « Je suppose que c’est pour ça que tu disais que tu étais déjà allé trop souvent à Brighton comme ça. » Souligna-t-il, comme pour lui prouver que non, il n’avait pas oublié ce qu’il lui avait dit l’autre fois. Il grimaça légèrement malgré lui, il aurait aimé pouvoir faire quelque chose pour au moins atténuer un peu la douleur qu’il devait ressentir – douillet comme il était – mais il n’avait rien sur lui et il n’avait aucune envie de retourner à l’hôpital ce soir. Tant pis, Jethro allait devoir faire sans, de toute façon il n’aurait pas pu faire grand-chose non plus. « Tu sais si tu voulais venir à l’hôpital avec moi il suffisait de demander, pas la peine d’aller te battre. » Plaisanta-t-il, d’un peu meilleure humeur après avoir passé ses examens. Il n’était plus aussi inquiet, en tout cas pas plus que d’habitude et il considérait ça comme une victoire vu la façon dont la journée avait débuté. Oui, ça aurait définitivement pu être pire. Il contempla pendant quelques secondes les petites vagues de la Manche qui venaient s’écraser doucement devant eux, profitant de l’air marin et du vent frais et vivifiant, se demandant pourquoi il ne venait pas ici plus souvent pour en profiter. Parce qu’il était toujours pressé ou attendu quelque part. Au moins avec ses « congés forcés » il allait avoir tout le temps… Il avait envie de rester ici encore un peu, ils n’étaient plus à deux minutes près maintenant, et l’idée de reprendre la voiture n’était pas des plus tentantes alors qu’il commençait tout juste à se sentir mieux. « Tu ne veux pas me raconter ce qu’il t’est arrivé ? » Demanda-t-il, son ton plus sérieux, gardant ses yeux rivés sur la mer. Il avait supposé que ça avait quelque chose à voir avec le fait qu’il évite Brighton et qu’il soit venu habiter chez eux, mais il avait peut-être tort. Peut-être qu’il était allé s’amuser dans un bar et avait dépassé les bornes avec quelqu’un.

---

Charlie était soulagé de voir que Jethro le traitait à nouveau normalement, qu’il n’avait pas l’air trop mal à l’aise pour se foutre de sa gueule et qu’il avait cessé de rester bêtement assis à côté de lui sans oser dire quoique ce soit. Si on lui avait dit un jour que les remarques sarcastiques de son beau-frère allaient lui manquer il n’y aurait pas cru, et pourtant, il était content de les retrouver. Un comble. Il continua à observer le mouvement des vagues, refusant de regard Jethro pour autre chose que pour vérifier qu’il allait bien. Non, il n’avait pas eu besoin de lui, c’était vrai, il s’en était sorti non ? Il était là et ça n’avait pas été si terrible, mais il ne réussissait pas complètement à faire taire la petite voix qui ne cessait de lui répéter qu’il aurait préféré qu’il reste avec lui. C’était égoïste, et stupide. Ce n’était pas comme si Jethro aurait pu faire grand-chose, et si c’était pour le voir tirer la tronche et ne rien oser dire pendant une heure ça n’aurait pas valu le coup. Là au moins il avait eu le temps de digérer et il s’était remis à agir normalement. « Qu’est-ce que tu veux ? J’adore la bureaucratie. » Répliqua-t-il de manière sarcastique avant de s’asseoir sur les galets à son tour. Parfait, il n’était pas pressé de rentrer non plus, il fallait juste qu’il fasse un peu attention à l’heure. Il vérifia rapidement son téléphone par réflexe, pas de nouvelles de Jade ou d’Aaliyah, c’était qu’elles ne s’inquiétaient pas pour lui. Il savait que c’était exactement ce qu’il avait voulu, qu’elles ne s’inquiètent pas, que ça ne les impacte pas, mais la réalisation lui faisait toujours un petit pincement au cœur. « Je n’en doute pas. » Oh non, il l’imaginait très bien s’être réellement déjà pris une porte en pleine face ou s’être ramassé dans les escaliers, après tout il l’avait déjà vu se cogner le nez contre la paroi de la douche chez eux, plus rien ne pouvait l’étonner concernant Jethro. Et encore moins sa façon de détourner le sujet et de le ramener sur un sujet que Charlie aurait préféré ne pas aborder. « Quelle question ? » Demanda-t-il, mais son ton était amusé. Il le faisait juste pour gagner du temps, et pour énerver Jethro aussi. Juste un tout petit peu. Il jeta un regard en coin à son beau-frère avant de lâcher un long soupir, essayant de caler sa respiration sur le bruit des vagues qui venaient s’écraser tranquillement sur la plage. « Je suis allé passer des examens. » Il se força à hausser les épaules, comme s’il essayait de se convaincre lui-même que ce n’était rien, que des gens passaient des examens tous les jours et qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Il échouait assez lamentablement jusqu’à présent. De toute façon à quoi bon ? Ce n’était pas comme si Jethro ne pouvait pas aller découvrir la vérité s’il en avait vraiment envie, il lui suffisait d’épier un peu ses mouvements à l’hôpital pour comprendre qui serait susceptible de le renseigner. Et bizarrement, il ne faisait plus confiance à ses collègues pour garder son secret, quelque chose lui disait même que son médecin serait ravi de l’apprendre à un membre de sa famille. Au fond, est-ce que ce n’était pas mieux que ça vienne de lui ? « J’ai appris que j’étais malade il y a quelques mois. » Lâcha-t-il un peu plus subitement qu’il ne l’avait voulu, comme s’il avait eu peur qu’une hésitation de dernière seconde ne l’empêche de le dire. Il garda les yeux résolument tournés vers la mer, bien décidé à ne surtout pas croiser le regard de Jehtro. « Cancer de l’estomac. » Ajouta-t-il juste après, sentant bien à quel point les mots étaient durs à prononcer. Il n’arrivait pas à croire qu’il était véritablement en train de le dire à haute voix, quelque part ça rendait sa maladie plus réelle encore et ce n’était pas particulièrement agréable. Mais maintenant qu’il avait commencé il ne pouvait pas s’arrêter là-dessus, il manquait les informations les plus importantes à ses yeux. « Je le traite, je suis bien suivi et je fais tout ce que je peux pour pouvoir être opéré. Je veux juste pas inquiéter Jade et Aaliyah alors qu’elles ne pourront strictement rien y faire. » Tout comme lui ne pouvait pas y faire grand-chose de plus. Il ne voulait pas que ça les ronge comme ça le rongeait aussi. Il réalisa après avoir expliqué tout ça qu’il avait pris la décision de le faire il y a plusieurs heures déjà, il ne s’en était même pas rendu compte, d’où sa surprise en constatant à quel point ça lui avait paru naturel d’être honnête avec Jethro. Ça n’aurait servi à rien de mentir, au moins là il pouvait contrôler l’information qu’il lui fournissait, l’empêcher de s’inquiéter lui aussi peut-être ? Ou au moins l’empêcher d’aller fouiner auprès de ses collègues. Et surtout, même si ça lui faisait mal de l'admettre, ça lui faisait du bien de pouvoir en parler à quelqu'un d'autre qu'au collègue qui suivait son traitement.

---

Charlie avait encore du mal à croire qu’il ait réussi à prononcer ces mots à voix haute, après avoir tout fait pour cacher sa maladie pendant des mois ça lui paraissait surréaliste d’en parler à quelqu’un d’autre que son médecin, et c’était encore pire quand il réalisait qu’il était en train d’en parler à Jethro. Si on lui avait prédit ça il y a quelques mois il n’y aurait pas cru, mais c’était le cas de beaucoup d’autres choses. Sa vie avait été bouleversée à à peu près tous les niveaux depuis que Jethro avait débarqué chez eux et quand il prenait un peu de recul et examinait la situation dans laquelle il se trouvait il était toujours choqué. Il avait du mal à croire que c’était bien sa vie. Il ne savait pas à quoi il s’était vraiment attendu comme réaction de la part de son beau-frère, mais il ne put s’empêcher de se sentir un peu vexé en entendant le ton de sa voix. Ça n’avait pas l’air de l’affecter particulièrement. C’était stupide, c’était sa fierté qui parlait là, il n’était pas censé souhaiter que ça fasse du mal aux gens autour de lui, même si ça l’aurait un peu rassuré que ça ne le laisse pas totalement indifférent comme ça. Il garda les yeux rivés sur la mer, refusant catégoriquement de croiser son regard. Si Jethro était gêné, ce n’était rien en comparaison du médecin, c’était plus facile de ne pas le regarder. Il étira ses jambes devant lui et posa ses mains derrière lui pour ne pas se retrouver allongé sur les galets, essayant de se détendre. Au fond, même si Jethro avait l’air de s’en foutre, ça lui avait fait du bien de le dire, ça lui avait permis d’enlever une partie du poids qu’il avait sur le cœur depuis des mois. Bien sûr, il s’était trompé en supposant que ça n’affectait pas son beau-frère,  il en eut d’ailleurs la preuve juste après. Il avait envie de croire qu’il ne posait pas la question juste pour savoir s’il pouvait le faire chanter avec cette information, non, il avait l’air plus… surpris qu’elles ne soient pas au courant. Pour Charlie ça paraissait évident, il avait supposé que si Jade et Aaliyah avaient été au courant elles auraient fini par en parler à Jethro à un moment, lui ne semblait pas le penser apparemment. « Non. » Répondit-il de manière factuelle, se tournant finalement vers lui. Il voyait à présent qu’il n’avait fait que feindre sa nonchalance habituelle, il avait l’air inquiet. Charlie se redressa légèrement, comme pour se remettre à sa hauteur. Maintenant qu’il voyait que non, l’information ne le laissait pas indifférent, il s’en voulait d’avoir été vexé tout à l’heure. Il avait définitivement été con. Il laissa un petit sourire amusé venir étirer ses lèvres quand Jethro lui lança qu’il avait l’air en meilleure forme et que c’était déjà ça, oui, c’était déjà ça, les nausées étaient parties pour l’instant. Il était mal à l’aise, et de toute évidence il ne savait pas quoi dire. Charlie ressentait le besoin de le rassurer. « Je vais bientôt me faire opérer, oui. Et après ça si tout se passe bien ce sera fini. » C’était un semi-mensonge, en soit il ne pouvait pas garantir qu’il allait bientôt se faire opérer, sa tumeur avait cessé de rapetisser et il allait falloir encore attendre avant de pouvoir opérer. Enfin, s’il pouvait se faire opérer un jour, au rythme où ça avançait ces dernières semaines ce n’était plus une garantie, mais il ne voulait pas inquiéter bêtement Jethro, il n’avait pas besoin de lui donner tous les détails non plus. C’était suffisant qu’il sache qu’il était malade. Il n’avait pas non plus voulu dire que même après l’opération il y avait toujours une chance que la tumeur revienne, il faisait confiance à ses collègues pour faire au mieux, mais là encore, il n’y avait pas de vraie garantie. Il préférait rester optimiste, ça ne servirait à rien de le faire stresser lui aussi pour rien. « On est pas obligés d’en parler. » Lança-t-il un peu après, se forçant à garder une voix légère, il ne voulait pas communiquer encore plus de son stress à son beau-frère. Ça lui avait déjà fait du bien d’en parler, ne serait-ce que de dire à quelqu’un d’autre ce qu’il se passait, il n’avait pas besoin de s’attarder sur le sujet. Au contraire même, après la journée qu’il venait de passer il préférait passer à autre chose et se changer les idées, oublier pendant quelques heures qu’il était malade ça lui paraissait être une bonne idée. « Tu veux aller prendre un verre ? » Demanda-t-il subitement, sans réfléchir. Il n’avait pas encore envie de rentrer, il voulait détendre un peu l’atmosphère avant de devoir affronter Jade et Aaliyah, et il avait beau se sentir bien ici il commençait aussi à avoir un peu froid. « Si quelqu’un recommence à te frapper je me mettrais devant. Si je leur dis que je suis malade ils oseront pas me frapper. » Plaisanta-t-il, maintenant que Jethro savait il préférait encore en rire. Il ne voulait pas que ça change la façon dont son beau-frère le voyait, et le meilleur moyen pour que ça ne soit pas le cas c’était encore d’essayer de dédramatiser.

---

Le soulagement était difficile à rater dans la voix de Jethro, et Charlie avait beau avoir du mal à l’admettre, ça lui faisait quand même un peu chaud au cœur. De savoir qu’il n’en avait pas strictement rien à foutre de savoir s’il allait vivre ou mourir, c’était bête et pathétique, il n’aurait pas du se contenter d’aussi peu, mais ça lui faisait quand même plaisir. Il commençait un peu malgré lui à s’attacher à son beau-frère, et il se doutait bien que leurs petites expériences n’y étaient pas entièrement pour rien. Le fait de l’avoir constamment chez lui et d’avoir appris à le connaître un peu, d’avoir réussi même à discuter tranquillement avec lui à plusieurs reprises, ça aussi ça jouait, il le savait. Et ça l’avait poussé à lui proposer d’aller boire un verre. Il n’aurait jamais cru qu’un jour il chercherait à prolonger le temps qu’il devait passer avec Jethro, comme quoi, la vie avait toujours des surprises en réserve, pour une fois celle-ci n’était pas complètement mauvaise. C’était agréable de le voir retrouver le sourire, de l’entendre rire, même si pour le coup rigoler avait semblé lui faire mal à cause de sa blessure à la lèvre. Ça en avait valu le coup, il avait apparemment réussi à détendre l’atmosphère et il ne pouvait pas demander beaucoup mieux vu les circonstances. Il ne put par contre s’empêcher de rougir légèrement en entendant la suite. Il n’était pas sûr de garder ses mains pour lui, comme il le disait, pour être honnête. Il n’en avait pas franchement envie. « Si c’est ce que tu veux, alors oui. » Répondit-t-il avant de s’être laissé le temps de réfléchir, le temps de s’empêcher de dire un truc pareil. Mais c’était plus fort que lui, il commençait à en avoir marre de prétendre que ça ne lui avait pas plu, qu’il voulait à tout pris éviter que ça se reproduise. C’était totalement faux, s’il était honnête avec lui-même, il rêvait même de recommencer. Il le regarda se relever et proposer de retourner au bar de l’autre fois, lui ça lui allait très bien, il n’avait jamais été très difficile et si Jethro semblait penser qu’ils n’auraient pas de problème là-bas c’était encore mieux. Très franchement s’il pouvait éviter de devoir servir de bouclier humain, il aimait autant. Il se leva à son tour, évitant le regard de Jethro, n’ayant pas envie de sentir son jugement sur lui. Il avait encore un peu de mal à croire qu’il ait pu dire ça alors que ce qu’il aurait du dire, c’était plutôt qu’il ne risquait pas d’être tenté de le toucher. « En route. » Lança-t-il, comme pour se forcer à dire quelque chose d’un peu moins incriminant, avant de s’élancer en direction de la route. Le bar était juste à côté, Brighton n’était pas une si grande ville que ça et les commerces avaient plutôt tendance à être agglutinés vers la plage, seule attraction de la ville côtière. « Un jour tu me diras qui c’est ces ‘ils’ qu’il faut que tu évites ? » Il n’avait pas dit ça sévèrement, au contraire, son ton était plutôt amusé. La question était pourtant légitime, après ce qu’il venait de lui avouer, il était persuadé que le secret de Jethro n’était rien en comparaison. Sans compter que s’il avait des gens qui étaient assez énervés contre lui pour venir le frapper en pleine journée à Brighton, Charlie aurait préféré savoir de qui il s’agissait. Juste au cas où. Surtout si Jethro continuait à amener sa fille avec lui par ici, il aurait aimé qu’il ne prenne pas de risque. Il fut légèrement soulagé de retrouver la sensation du bitume sous ses pieds, c’était toujours plus agréable que les galets, avant de se diriger vers le bar de l’autre fois. Il pouvait déjà l’apercevoir d’ici, ils y seraient probablement en moins de deux minutes. « Comment ça se passe alors ? Je te dois combien de verre en échange de ton silence ? » Plaisanta-t-il, sachant très bien que même Jethro n’oserait pas l’extorquer sur un sujet aussi grave, en tout cas il le supposait, mais pour une fois ça ne le dérangeait pas de jouer le jeu. C’était aussi sa façon détournée à lui de sous-entendre qu’il ne comptait pas s’arrêter à un verre. Il ne savait même pas vraiment quand il avait pris cette décision, tout ce qu’il savait, c’était qu’elle avait été prise.

---

Charlie avait quand même eu un petit espoir que Jethro lui réponde sérieusement et lui explique un peu mieux ce qu’il s’était passé pour qu’il se fasse frapper comme ça, rétrospectivement ça avait été naïf de sa part. Il ne pouvait néanmoins pas s’empêcher d’être un peu vexé. Il avait pensé, à tort, que le fait de lui avoir confié quelque chose d’aussi personnel sur lui – même si sa main avait été plus ou moins forcée par les circonstances, il aurait très bien pu refuser de dire quoique ce soit ! - le pousserait à être un peu plus honnête et ouvert avec lui. Il ne savait pas pourquoi ça le vexait réellement. Oui, il aurait aimé savoir, ça l’aurait rassuré, ça lui aurait probablement fait un souci de moins, mais ce n’était pas non plus si important que ça. Non, ce qui le gênait en vérité, c’était le fait que Jethro n’ait pas l’air de lui faire confiance, ou en tout cas ne le juge pas digne de lui raconter sa vie. C’était stupide, au fond c’était Jethro qui avait raison. C’était lui qui aurait du garder le secret sur sa maladie et non l’inverse. Il força un petit sourire amusé sur ses lèvres en l’entendant, il avait envie de savoir, certes, mais il n’avait pas non plus envie de le pousser à la confidence, il avait trop peur de le braquer et de le voir recommencer à lui poser des questions sur son cancer. Il ne voulait pas y repenser, ce n’était plus le moment, il avait passé sa journée à ça, alors ce n’était pas grave si Jethro ne voulait pas lui dire, ce n’était pas la fin du monde, et s’il était vexé c’était parce qu’il était trop susceptible. Il se força à lâcher l’affaire tandis qu’ils se rendaient vers le bar de la dernière fois, Charlie sursautant juste légèrement en sentant Jethro s’appuyer sur lui pour ne pas venir s’écraser par terre. La suite le fit sourire, il ne regrettait pas de ne pas avoir insisté, c’était plus simple comme ça, plus agréable. Il n’aurait jamais cru que ses sous-entendus lui feraient un jour plaisir et pourtant ils en étaient là. « C’est vrai. Quand t’auras décidé tu me diras et on pourra négocier alors. » Répliqua-t-il, ne cherchant pas à cacher son sourire amusé. Il savait très bien ce que Jethro avait en tête et pour être parfaitement honnête ça ne le dérangeait pas, bien au contraire même. Il avait du mal à croire qu’il en soit arrivé, mais après la dernière fois, après l’incident sur le canapé, après les annonces successives de son médecin, il n’avait plus envie de se battre contre quelque chose qui lui faisait aussi clairement envie. Peut-être qu’il commençait à réaliser qu’il n’arrêterait pas d’y penser tant qu’il n'aurait pas vraiment essayé, qu’il ne réussirait pas à tirer un trait sur toute cette histoire. Et quand il se disait ça comme ça, il réussissait presque à se convaincre que ce qu’il faisait c’était comme arracher un pansement, un mal nécessaire pour pouvoir passer à autre chose. Presque. « Ou sinon tu pourrais essayer d’être plus clair. » Se moqua-t-il alors qu’ils arrivaient devant le bar, suivant Jethro à l’intérieur et se demandant si c’était une si bonne idée que ça de l’encourager à être plus clair encore sur ses intentions. Il avait peur de ce que ça pourrait donner. Il alla s’installer sur le même tabouret que l’autre fois, la plupart des tables étant déjà prises. Il avait aussi envie d’être près du bar, pour faciliter l’accès à la bière. Il commanda d’ailleurs directement une pinte de doom bar avant de se tourner vers Jethro, attendant de voir ce que lui allait prendre. Il tendit son verre quand ils furent servis. « Je dirais bien santé, mais je pense que ce serait tenter le diable. » Vu leurs états respectifs trinquer à leurs santés aurait été un peu trop ironique à son goût. Il porta son verre à ses lèvres et but une gorgée de bière. « J’espère que j’ai pas complètement gâché ta journée. » Lança-t-il, se rendant compte qu’il avait commencé par l’engueuler pour ensuite l’entraîner à Brighton, où il s’était fait frapper, pour ensuite devoir l’écouter lui apprendre qu’il avait un cancer. Il était sûr que Jethro avait connu de meilleurs jours. Tout comme lui. « Je vais essayer de me rattraper. » Il n’avait pas dit ça en toute innocence, loin de là même, mais il s’était forcé à garder un visage impassible, comme pour semer le doute dans l’esprit de Jethro, comme si pour une fois, c’était à son tour de s’amuser à jouer un peu avec ses nerfs.